13.11.2024
Au cours du XXième siècle en Suisse, pas moins de 60'000 personnes ont été placées dans des institutions sans jugement ni condamnation. Sous la pression internationale, exercée notamment par le Conseil de l’Europe, l’internement administratif a été abrogé en 1981. Au cours des dix dernières années, un travail de mémoire et une réhabilitation des personnes concernées ont eu lieu. La pratique consistant à interner les personnes qui déviaient de la norme a-t-elle toutefois changé?
L’internement administratif était une pratique répandue en Suisse au XXième siècle. Elle désigne non seulement l’internement de personnes perçues comme «débauchées», «fainéantes» ou «asociales» dans un établissement psychiatrique, mais aussi dans des institutions sans prise en charge médicale. Ainsi, pas moins de 60 000 personnes ont été placées dans 648 établissements sans décision de justice et sans avoir commis d’infraction. Bien que les internements administratifs reposaient sur des bases légales, celles-ci n’étaient claires et rendaient la situation juridique difficile à appréhender. Les internements concernaient principalement les personnes vivant dans la pauvreté, sans emploi fixe ou encore les membres de groupes discriminés, population considérée alors comme anormale et inadaptée. Sous la pression internationale, notamment du Conseil de l’Europe, l’internement administratif a été abrogé en 1981. Conscient de l’injustice subie par les personnes ayant été soumises à des mesures administratives, le Parlement fédéral a adopté en 2014 la loi fédérale sur la réhabilitation des personnes placées par décision administrative. Une commission indépendante d’expert·e·x·s (CIE) a ensuite étudié et documenté l’histoire des internements administratifs et a formulé des propositions pour la réhabilitation des personnes concernées. Ce travail témoigne d’une volonté de se confronter aux injustices historiques. Il doit aussi renforcer la sensibilité face aux injustices actuelles et contribuer à éviter la perpétuation de pratiques similaires en raison de situations juridiques peu claires.
Cet article se penche sur la situation actuelle; l’enfermement est une réalité largement répandue en Suisse dans différents domaines, même si les interventions portent désormais d’autres noms, reposent sur d’autres bases légales et sont exécutées sous différents régimes.
Détention provisoire
Lors de la détention provisoire, une personne soupçonnée d’avoir commis un délit est placée en détention afin qu’elle ne risque pas de prendre la fuite (risque de fuite), de nuire à la procédure pénale (risque de collusion) ou de commettre d’autres actes (risque de récidive). La détention provisoire est régie par les articles 221 à 240 du Code de procédure pénale (CPP). La détention provisoire n’est proportionnée et légitime que si aucune mesure moins sévère (mesure de substitution) ne peut être prise pour empêcher l’entrave aux enquêtes pénales ou la récidive. La détention provisoire est soumise à la présomption d’innocence. Il arrive régulièrement qu’un acquittement intervienne après la détention provisoire, ce qui signifie que des personnes innocentes peuvent également être placées en détention provisoire.
En 2023, 1924 personnes ont été placées en détention provisoire en Suisse. En comparaison avec d’autres pays d’Europe occidentale, la Suisse mène une politique restrictive en matière de détention provisoire. Seule la Belgique a un taux de détention provisoire pour 100 000 habitant·e·x·s aussi élevé. La proportion de personnes en détention provisoire par rapport à l’ensemble des détenu·e·x·s est de 46% en Suisse, contre 31% en France, 25% en Italie et 20% en Allemagne. 54% des personnes en détention provisoire sont soit des demandeur·euse ·x·s d’asile (7%), soit des personnes domiciliées à l’étranger ou dont le domicile est inconnu (4 %). La raison étant que dans ces cas, on suppose souvent qu’il y a un risque de fuite. Depuis 1988, le taux d’incarcération n’a cessé d’augmenter. La proportion de détenu·e·x·s résidant à l’étranger a également évolué, passant de 37% en 1988 à plus de 50% à partir de 2004.
Dans la pratique, les mesures de substitution moins sévères ne sont souvent pas prises en considération, sans pour autant qu’une justification soit invoquée. Par conséquent, la légalité de la détention reste dans de nombreux cas injustifiée. Bien que les conditions de détention varient fortement d’un canton à l’autre, elles sont souvent contraires aux droits humains, ce qui a été critiqué à plusieurs reprises par des organisations internationales. Lors de la détention provisoire, les personnes sont souvent placées en isolement avec de longues périodes d’enfermement dans des établissements pénitentiaires très petits et anciens. Or un tel isolement peut avoir de graves conséquences sur la santé. De plus, les conditions de visite sont souvent restrictives, alors que les détenu·e·x·s ont le droit de recevoir des visites; les autorités de poursuite pénale violent même parfois ce droit et se servent de la durée des visites comme moyen de pression. Ces conditions sont d’autant plus choquantes si l’on considère que la présomption d’innocence s’applique en détention provisoire et que la détention peut entraîner des dommages psychiques irréparables même après une courte période.
Ordonnance pénale et peines privatives de liberté de substitution
Avec l’introduction du Code de procédure pénale (CPP) en 2011 visant à décharger les tribunaux, le rôle des procureur·e·x·s a été renforcé. Il leur est désormais possible de prononcer des peines allant jusqu’à six mois de privation de liberté pour des délits de moindre gravité dans le cadre de la procédure de l’ordonnance pénale. Si l’ordonnance pénale est acceptée par la personne accusée, le jugement est définitif. Les personnes concernées peuvent toutefois contester l’ordonnance pénale en demandant qu’un tribunal ordinaire se prononce. La peine privative de liberté de substitution selon l’art. 36 CP est ordonnée lorsqu’une amende ou une peine pécuniaire ne peut pas être payée et qu’elle est convertie en peine privative de liberté.
Les ordonnances pénales expliquant la très haute occupation (voire la surpopulation) actuelle des établissements pénitentiaires suisses; plus de la moitié des personnes incarcérées (53% des 3217 personnes incarcérées en 2022) purgent en effet une peine privative de liberté de substitution.
La procédure de l’ordonnance pénale n’est pas seulement problématique parce que le ministère public est à la fois procureur et juge, à l’inverse du principe de séparation des pouvoirs; selon une étude de l’Université de Zurich, les personnes concernées ne sont entendues que dans 8 % des cas avant que l’ordonnance pénale ne soit rendue. De plus, les personnes concernées n’ont souvent pas la nationalité suisse et, pour des raisons linguistiques, ne comprennent pas toujours l’ordonnance pénale qui leur est envoyée par la poste et laissent passer le délai d’opposition, très court - de 10 jours. Il arrive régulièrement que des personnes soient placées en détention sans en connaître la raison ou parce qu’elles manquent de ressources financières pour payer les services d’avocat·e·x·s. Toutefois, lorsqu’une ordonnance pénale est contestée, elle est annulée dans 20% des cas.
Exécution des mesures pénales
Le code pénal (CP) prévoit aux articles 56 à 65 la possibilité d’ordonner une mesure en plus de la peine en cas de condamnation pour une infraction, si la peine n’est pas de nature à diminuer le risque de récidive, s’il existe un besoin de traitement ou si la sécurité publique l’exige (art. 56 CP). L’exécution de la mesure prime une peine privative de liberté et est imputée sur la durée de la peine (art. 57 CP). Les conditions de la libération (conditionnelle) sont réexaminées au plus tôt après un an et au plus tard à l’expiration de la durée prévue par la loi (3 à 5 ans). En cas de pronostic positif, la libération intervient au plus tôt lorsque la personne condamnée a purgé les deux tiers de la peine privative de liberté ou après 15 ans d’une peine privative de liberté à vie. Une mesure peut être prolongée plusieurs fois en cas de pronostic négatif. Concrètement, il existe des mesures thérapeutiques institutionnelles en cas de troubles mentaux (art. 59 CP), en cas d’addiction (art. 60 CP) ou dans le cas de jeunes adultes (art. 61 CP). S’y ajoutent la mesure ambulatoire (art. 63 CP) ainsi que l’internement (art. 64 CP) en cas de risque particulièrement élevé de récidive et d’un grave trouble mental chronique et récurrent, qui peut être prononcé à vie dans certains cas (art. 64, al. 1bis).
Alors que le nombre d’internements, de traitements des addictions ainsi que de mesures applicables aux jeunes adultes sont restés stables depuis 1984, l’énorme augmentation depuis 2003 (157 cas) des mesures pour le traitement des troubles mentaux selon l’art. 59 est frappante. Elle a connu un pic en 2021, avec 737 cas. En examinant les chiffres de plus près, on constate que l’augmentation n’est pas due à davantage d’admissions ou à moins de sorties par an, mais à une durée de séjour de plus en plus longue: l’augmentation de la durée moyenne de séjour entre 1984 et 2021 s’élève à 270%.
Les scientifiques estiment que cette évolution s’explique en partie par l’importance grandissante de la thématique sécuritaire au sein de la société. Pour ordonner une mesure, les juges se fondent obligatoirement sur une expertise (art. 56, al. 3, CP). Celle-ci se détermine d’une part sur la nécessité et les chances de succès d’un traitement et contient d’autre part une évaluation des risques concernant la vraisemblance que l’auteur commette d’autres infractions ainsi que sur la nature de celles-ci. Cette disposition légale est problématique, car elle accorde aux expert·e·x·s et aux tribunaux une marge d’appréciation presque illimitée pour toutes les conditions d’évaluation du cas. Pour des raisons tout à fait compréhensibles, les psychiatres ne sont par ailleurs guère disposé·e·x·s à attester de l’absence de danger lors de l’expertise, craignant de devoir se justifier en cas de rechute. Les juges sont également aux prises de cette peur et suivent donc en général les recommandations des psychiatres. Le choix entre une peine privative de liberté ordinaire et une mesure thérapeutique est donc, dans les faits, déterminé par l’expertise de psychiatrie médico-légale, le plus souvent au détriment de la personne expertisée.
Ce basculement d’un régimee pénal vers un régime des mesures entraîne une augmentation constante du nombre de personnes en détention de longue durée, sans qu’il y ait pour autant une augmentation des places adaptées, avec un suivi thérapeutique. Ainsi, des centaines de détenu·e·x·s qui se sont vu ordonner une mesure attendent souvent plus d’un an avant d’obtenir une place en thérapie. Selon la Commission nationale de la prévention de la torture, la plupart des personnes internées se trouvent dans les sections fermées des prisons. Ainsi, elles sont placées dans un régime de détention ordinaire et connaissent des conditions de détention souvent beaucoup plus restrictives que celles auxquelles elles auraient droit en exécutant une peine «préventive». En effet, ce type de peine ne sert pas à réparer l’injustice d’une infraction, mais à protéger la société contre d’éventuelles autres infractions.
Placement à des fins d’assistance
Les personnes connaissant des troubles psychiques, une déficience mentale ou un grave état d’abandon peuvent être placées dans une institution appropriée contre leur volonté si l’assistance ou le traitement nécessaires ne peuvent leur être fournis d’une autre manière. On parle alors de placement à des fins d’assistance, qui peut avoir lieu uniquement si la personne concernée risque sérieusement de se mettre en danger, ou dans certains cas, qu’elle représente un danger pour autrui. Les conditions pour ordonner le placement à des fins d’assistance et les traitements médicaux forcés sont définies aux articles 426 et suivants du code civil (CC). Le placement à des fins d’assistance est en principe ordonné par l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte cantonal ou, plus souvent, par un·e·x médecin.
Depuis l’entrée en vigueur du droit de la protection de l’adulte en 2013, la «privation de liberté à des fins d’assistance» (PLAFA) est devenue le «placement à des fins d’assistance» (PAFA). L’hypothèse selon laquelle la révision de la loi permettrait de réduire le taux de PAFA ne s’est pas confirmée jusqu’à présent. Au contraire: en 2022, plus de 18 367 personnes ont été placées dans un hôpital psychiatrique contre leur gré sur la base d’une mesure de placement. Le taux moyen d’hospitalisations pour 1000 habitant·e·x·s se situe à 2,07 au niveau national, ce qui est plus élevé que la moyenne internationale, mais varie fortement selon les cantons. Concrètement, une personne sur cinq hospitalisée dans un établissement psychiatrique en Suisse est admise contre sa volonté. Environ 30 % des hospitalisations pour cause de placement à des fins d’assistance durent entre 1 et 7 jours; 80% se terminent après six semaines, tandis qu’un peu plus de 20% atteignent voire dépassent sept semaines.
Ces données ne concernent toutefois que les placements dans des hôpitaux psychiatriques et ne tiennent pas compte des PAFA dans d’autres structures telles que les services de soins somatiques des hôpitaux et des établissements médico-sociaux, ou du maintien de personnes entrées de leur plein gré. Il n’existe pas de récolte uniformisée et complète de données relatives aux PAFA au niveau national. Il faut donc partir du principe que le nombre de PAFA ordonnés chaque année est plus élevé.
Compte tenu du taux de PAFA qui ne cesse d’augmenter et la manière dont ces placements sont ordonnés, l’organisation Pro mente sana a publié fin 2022 une prise de position comprenant des conclusions tirées d’évaluations du nouveau droit de protection des adultes ainsi que des témoignages de personnes concernées. La publication présentait cinq exigences: ordonner le PAFA exclusivement comme une mesure d’ultima ratio; veiller à une meilleure qualification des professionnel·le·x·s habilité·e·x·s à prononcer un PAFA; introduire le principe du double contrôle lors de l’ordonnance d’une mesure de PAFA; garantir aux personnes concernées le droit d’être entendues et informées; organiser un débriefing obligatoire après chaque mesure de PAFA.
Dans sa première évaluation de la Suisse en 2022, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU est allé encore plus loin en recommandant à la Confédération d’abroger les dispositions qui autorisent une privation de liberté forcée en raison de troubles psychiques ou de déficience mentale, ainsi que celles qui permettent le traitement médical forcé, la mise à l’isolement et la contention chimique, physique et mécanique (observations finales, pp. 7-8).
Hébergement dans les centres fédéraux pour requérant·e·x·s d’asile
En Suisse, les personnes requérantes d’asile sont hébergées dans des centres fédéraux pour requérant·e·x·s d’asile pendant la procédure d’asile visant à déterminer si la Suisse doit leur offrir une protection. Il est indéniable que les structures d’hébergement restreignent la liberté des personnes en fuite, en raison de l’emplacement très éloigné des centres, de la limitation de la liberté de mouvement ou des obligations de présence.
En 2023, 30 223 personnes [JD8] ont déposé une demande d’asile en Suisse. L’asile a été accordé dans 26% des cas et le taux de protection (décisions d’octroi de l’asile ou admissions provisoires) a atteint 54%. Dans le cadre de la planification ordinaire, le Secrétariat aux migrations (SEM) dispose en tout de 5000 places d’hébergement pour requérant·e·x·s d’asile. Dans des situations spéciales, cette capacité peut être portée à 10 000 places en accord avec les cantons. Actuellement, cette possibilité est pleinement exploitée.
Afin de veiller au respect des droits fondamentaux et humains dans les structures d’hébergement pour personnes requérantes d’asile gérées par la Confédération, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) en a fait l’examen en 2017 et 2018, tout comme le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) en mars 2021. La CNPT et le CPT critiquent d’une part les exigences disproportionnées quant à l’obligation de présence et d’autre part le fait que les mesures disciplinaires ne soient pas mises par écrit. La CNPT relève également un manque considérable d’intimité et constate que les personnes requérantes d’asile rencontrent des obstacles en matière de participation sociale. Le CPT critique le fait que le personnel en charge de l’aide juridique n’ait pas suffisamment accès aux centres d’asile et que les personnes requérantes ne soient pas assez bien informées sur les possibilités de recours.
Dans les centres spécifiques régis par l’art. 24a de la loi sur l’asile (LAsi), les personnes requérantes d’asile sont complètement privées de leur liberté lorsque les autorités estiment qu’elles perturbent considérablement la sécurité et l’ordre publics ou le bon fonctionnement des centres fédéraux. Des mesures de sécurité et des règles de sortie plus strictes y sont appliquées et le séjour est limité à 30 jours. Un tel centre existe déjà aux Verrières (NE) et le SEM prévoit l’ouverture d’un second centre spécifique en Suisse alémanique.
À la différence de mesures prononcées dans le cadre d’une procédure pénale, une personne ne doit pas nécessairement être reconnue comme coupable d’une infraction avant d’être transférée dans un centre spécifique. Selon l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), les conditions nécessaires à une assignation dans un centre spécifique sont trop larges. Il suffit par exemple que la personne requérante d’asile ne respecte pas le couvre-feu à plusieurs reprises pour qu’elle soit envoyée aux Verrières. Par ailleurs, le centre spécifique n’est pas adapté aux personnes atteintes d’addiction ou de troubles psychiques. En appliquant les dispositions du droit pénal en vigueur et les possibilités de traitement psychiatrique, les autorités disposent déjà d’une certaine marge de manœuvre dans les cas où la personne requérante représente une menace pour elle-même ou autrui.
Détention administrative
La détention administrative en vertu du droit des étrangers est une mesure de contrainte visant à garantir l’exécution du renvoi de personnes étrangères dépourvues d’un droit de séjour en Suisse et visant à prévenir les risques de fuite de ces personnes. Elle n’est en rien liée à un crime ou à une enquête d’ordre pénal. Elle est ordonnée par les autorités du canton qui exécute le renvoi ou l’expulsion, comme cela est décrit dans l’article 80 de la Loi sur les étrangers (LEtr), qui lui est dédié. La légalité et la proportionnalité de la détention doivent être examinées dans un délai de 96 heures après la mise en détention par une autorité judiciaire.
Les statistiques en matière d’asile du SEM ont enregistré 2882 cas de détention administrative en 2023. Le taux de détention varie considérablement d’un canton à l’autre, car les différentes autorités d’exécution n’interprètent et n’appliquent pas toutes le principe de proportionnalité de la même manière. Dans certains cantons, la détention administrative est ordonnée avant même que la décision de renvoi ne soit devenue juridiquement contraignante. Il existe également des cas où la détention administrative n’est pas suivie d’une expulsion et où la «pertinence» de cette détention doit être remise en question. Dans cinq cas sur dix, la détention administrative dure moins de 10 jours. Dans l’autre moitié des cas, la durée varie généralement entre 9 et 18 mois.
AsyLex et la CNPT critiquent la détention administrative en raison des restrictions importantes de la liberté de mouvement qu’elle engendre et du manque de proportionnalité. Les deux organisations dénoncent également depuis plusieurs années l’absence d’une représentation juridique efficace. Si la détention administrative ne constitue pas une mesure à caractère punitif, l’exécution d’une telle mesure s’en rapproche pourtant bien. Dans la plupart des cantons, les établissements pénitentiaires sont utilisés pour sa mise en œuvre alors qu’il devrait s’agir d’une exception au sens de la loi.
Enfermer pour régler les problèmes sociaux?
Si l’on additionne les personnes en détention préventive (et donc non coupables au sens de la loi), les personnes en détention préventive (exécution de mesures pénales) qui ont déjà purgé leur peine, les personnes placées contre leur gré dans un hôpital psychiatrique (PAFA) et celles qui sont hébergées dans des centres fédéraux de requérant·e·x·s d’asile, on atteint un chiffre de plus de 30 000 personnes par an. Ces personnes sont privées de liberté en Suisse, alors qu’elles ne doivent pas compenser la culpabilité d’une infraction commise. Le nombre est probablement encore plus élevé, notamment du fait des PAFA, en raison du manque de données. Il faut par ailleurs encore tenir compte des personnes qui ne peuvent pas payer une amende en raison d’un manque de ressources financières et personnelles, et qui sont punies pour cela par une privation de liberté.
Alors que la Suisse se penche aujourd’hui publiquement sur la question de l’internement administratif, les médias se font l’écho de témoignages de jeunes ayant besoin d’une prise en charge thérapeutique, mais placé·e·x·s en prison faute de places dans les foyers et les services psychiatriques. Les pratiques de l’époque des internements administratifs sont-elles donc réellement révolues?
Ce sont toujours les personnes qui ne correspondent pas aux normes sociales qui continuent d’être enfermées: les personnes touchées par la pauvreté, les personnes sans passeport suisse et les personnes atteintes de problèmes de santé. Alors que les internements administratifs touchaient autrefois particulièrement les femmes élevant seules leurs enfants, ils frappent aujourd’hui surtout les personnes réfugiées.
Les coûts financiers et sociaux de ces mesures de privation de liberté sont immenses. La détention administrative à elle seule représente déjà un coût plus de 20 millions de francs par an, sans compter les coûts consécutifs tels que les mesures de réinsertion et le traitement des conséquences d’une détention. Il existe par ailleurs des alternatives à la détention, bien étudiées scientifiquement dans tous les domaines, aussi bien en matière de détention provisoire ou de placement à des fins d’assistance qu’en matière de détention administrative. Certaines pratiques de pays étrangers peuvent également servir de modèle. Bien que ces solutions aient aussi un coût, elles contribueraient à intégrer les personnes concernées dans la société (ici ou ailleurs) et donc d’éviter les coûts consécutifs tels que ceux liés aux conséquences d’une détention.
Un changement radical de mentalité est nécessaire afin que la société ait le courage d’investir dans l’intégration plutôt que dans la répression, et veille surtout au respect systématique des droits humains.
D’autres articles sur humanrights.ch pour aller plus loin:
- Les mesures de coercition à des fins d’assistance : un pan sombre de l’histoire suisse (2017)
- Mesures de coercition à des fins d’assistance: la longue route de la réhabilitation (2017)
- Réparation de l’injustice étatique pour les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance (2020)
- Détention provisoire: le principe de proportionnalité doit devenir une réalité juridique (2020)
- L’ordonnance pénale présente de graves lacunes (2020) En prison sans jugement (2021)
- Le « petit internement » et les droits humains (2018) Établissements psychiatriques : l’usage de la contrainte reste problématique (2022)
- Les droits humains dans les centres fédéraux pour personnes requérantes d’asile (2019)
- La détention administrative en application du droit des personnes étrangères : critiques et alternatives (2021)