15.11.2021
Même dans l'État de droit qu'est la Suisse, il arrive encore que des personnes se retrouvent placées en détention sans en connaitre la raison. En cause? Le système de notification fictive des ordonnances pénales, qui peuvent contenir des peines inconditionnelles d’emprisonnement. Ainsi, selon le code de procédure pénale, les ordonnances pénales sont considérées comme notifiées même en l'absence de notification effective et de publication. Cette pratique viole des droits humains fondamentaux et représente un lourd fardeau psychologique pour les personnes touchées.
Lorik* est désespéré. Il est en prison, mais il ne sait pas pourquoi. Personne ne le lui a expliqué. Ses codétenus tentent de le calmer: c’est normal en Suisse. D’autres parmi eux ont connu le même sort. Lorik n’a jamais vu d’interprète, d’avocat·e, de procureur·e, et encore moins de juge. Il n'y a pas eu d'interrogatoire au cours duquel on l'a accusé d'un crime ou expliqué ses droits. Il n’a reçu que l’ordre d’exécution: il avait été condamné à une amende, qui avait été transformée en peine de prison pour défaut de paiement. Cependant, Lorik n’a pas connaissance d’une ordonnance pénale, et n’a jamais reçu de demande de paiement ou de bulletin de versement. Il se retrouve littéralement en prison sans jugement.
L’histoire de Lorik n’est pas un cas isolé. Il arrive régulièrement en Suisse que des personnes soient placées en détention sans savoir pourquoi. Au moyen d’une ordonnance pénale, le Ministère public peut en effet imposer des peines d’emprisonnement inconditionnelles allant jusqu’à 6 mois, ainsi que des amendes qui sont converties en une peine privative de liberté sans paiement. Par ailleurs, les ordonnances pénales peuvent également être déclarées juridiquement contraignantes et donc exécutoires à l’insu de la personne concernée: les dispositions et décisions qui ne peuvent pas être remises par courrier recommandé ou en tant que documents judiciaires et qui ne sont pas retirées au bureau de poste dans le délai de prise en charge de sept jours sont réputées avoir été notifiées le dernier jour de ce délai. Cette notification fictive est utilisée, par exemple, si un envoi postal recommandé n’est pas ramassé ou si une lettre recommandée est retournée parce que le destinataire ne vit plus à l’adresse d’envoi. Dès que l’ordonnance pénale est réputée avoir été notifiée, un délai d’opposition de 10 jours commence à courir; s’il n’y a pas d’opposition durant ce délai, elle devient une décision exécutoire.
Le Tribunal fédéral fixe des exigences élevées pour l’application de la notification fictive, mais celles-ci ne sont pas toujours respectées par les Ministères publics. En tant qu’«efforts nécessaires» à fournir des recherches doivent porter sur la dernière adresse connue et être menées tant dans les registres de la population qu’auprès des voisins, des parents ou de l'office des migrations. Le Tribunal fédéral n'autorise pas une livraison de substitution à la dernière adresse connue et ne libère pas non plus les Ministères publics de l'obligation de faire des recherches d'adresse si une adresse erronée a été donnée intentionnellement. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu un seul cas devant le Tribunal fédéral dans lequel les efforts de notification d’ordonnance pénale par un Ministère public ont été qualifiés de «suffisants». Les efforts n’ont pas non plus suffi dans le cas de Lorik: après qu’il ait fait recours avec le soutien d’un avocat, il a immédiatement été libéré de prison.
Des cas comme celui de Lorik passent généralement inaperçus, car les personnes concernées ne connaissent pas leurs droits et n’ont pas d’avocat·e à leurs côtés. La plupart du temps, les personnes concernées ne sont pas informées de leur sort, même s'il s'agit d'une violation de droits humains fondamentaux. Selon l'article 31, paragraphe 2, de la Constitution fédérale et l'article 5, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), toute personne privée de sa liberté doit être informée immédiatement, dans une langue qu'elle comprend, des raisons de sa détention et de ses droits. Les détenus doivent avoir la possibilité de faire contrôler leur privation de liberté par un tribunal dans un court délai (art. 5 par.4 CEDH). Si la signification d’une ordonnance pénale est purement fictive, c'est-à-dire que la personne concernée ne voit jamais réellement cette ordonnance pénale, elle ne connaît ni le motif de la privation de liberté, ni ses possibilités de recours.
Les cas d’emprisonnement sans ordonnance pénale juridiquement contraignante sont (encore) peu connus. Il incombe au Ministère public d’agir d’office et de mettre fin à cette pratique contraire aux droits fondamentaux, de réexaminer les ordonnances pénales déjà émises et, le cas échéant, de les rendre à nouveau, conformément à la loi.
*Nom fictif