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Il n’y a plus d’obstacle juridique à la ratification de la Charte sociale européenne

04.10.2015

Le 2 juillet 2014, le Conseil fédéral (CF) a adopté un rapport indiquant que la Suisse pourrait désormais ratifier la Charte sociale européenne révisée (CSE) sans que cela n’ait aucune conséquence pour le droit suisse. Le rapport explique dans le détail pourquoi et comment la Suisse satisfait désormais aux conditions minimales de ratification.

Avec ce rapport, le CF donne finalement suite au postulat de la Commission de politique extérieure du Conseil des États de janvier 2010 (voir notre article sur sujet). Celui-ci demandait aux sept sages de produire un rapport de compatibilité entre le droit suisse et la CSE, «au plus tard avant la fin de l’année 2010». Le processus aurait en effet été bloqué après que le journal alémanique NZZ ait dévoilé en 2011 l’existence de ce rapport tout en martelant sur une page complète l’existence d’une profonde incompatibilité. Il aura apparemment fallu près de trois ans à l’administration pour revoir sa copie. Le résultat est cependant significatif.

Discuter les détails

Car depuis 2011, l’administration n’est pas restée les mains dans les poches. Elle a consulté sur cette question le Comité des droits sociaux, l’organe compétent du Conseil de l’Europe pour la CSE. Ces discussions ont permis d’aplanir les derniers détails permettant à la Suisse de remplir les conditions minimales de ratification.
La question de l'apprentissage a notamment été éclaircie. La Charte sociale prévoit en effet une stricte protection des jeunes et de mineur-e-s, y compris en matière de temps de travail et de bas salaire. Conditions qui ne sauraient être compatibles avec l’apprentissage tel qu’il est pratiqué en Suisse si ce dernier avait été considéré comme travail à proprement parler. Le Comité a cependant compris la nature de cette particularité helvétique et accepté de voir l’apprentissage inscrit en tant que filière de formation, aplanissant ainsi la dernière barrière juridique à une ratification helvétique.

Conditions minimales remplies

Dans la mesure où il est possible de faire une ratification «à la carte» de la CSE, la Suisse peut ratifier cet instrument sans en accepter toutes les contraintes. Le Comité a ainsi confirmé à la Suisse qu’elle satisfait aux conditions minimales de ratification de 6 articles sur les 9 qui constituent le noyau de la Charte, ce qui lui permet de ratifier la CSE. La voie juridique vers la ratification est désormais libre.
Avec le Liechtenstein, la République de Saint Marin et Monaco, la Suisse est l’un des seuls pays du Conseil de l’Europe (47 États membres) à n’avoir pas encore ratifié cet instrument pourtant consensuel. Un fait plutôt gênant, alors que la Confédération a signé la Charte sociale en 1976 déjà et que sa ratification fait désormais partie des prérequis à toute nouvelle entrée au Conseil de l’Europe.

Une question de volonté politique

Aujourd’hui, le minutieux travail entrepris par l’administration fédérale permet enfin de régler une fois pour toutes la question de la compatibilité du droit suisse avec la CSE. Un obstacle juridique haut de plusieurs dizaines d’années vient donc d’être franchi. Mais la ratification de la Charte reste encore et toujours une décision politique. «Ce qui sera décisif maintenant, c’est la façon dont la Parlement va accueillir le rapport de compatibilité», a indiqué Bruno Keel, qui dirige la campagne des ONG «Pro Charte sociale» dans un communiqué de presse de juillet 2014. L’objectif reste ainsi l’élaboration d’un projet concret de ratification et le rapport est une bonne base. La délégation parlementaire suisse auprès de l'APCE (Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe) a mis l’objet à l’ordre du jour en septembre. La Commission de politique extérieure du Conseil des États se penchera sur la question en octobre très probablement. Le Conseil fédéral a par ailleurs indiqué qu’il ne se prononcera sur le principe d’une ratification qu’après que le Parlement aura pris acte du rapport.

En septembre 2015, un député UDC a proposé la motion dite Courten (15.3804) qui chargeait le Conseil fédéral à renoncer à la ratification de la Charte sociale européenne. Heureusement, après avoir été adoptée par le Conseil national, elle a été enterrée par le Conseil des Etats le 15 décembre 2016. Le Parlement laisse malgré tout la porte ouverte pour une ratification de la Charte sociale européenne.

Commentaire de humanrights.ch

Un projet concret de ratification ne pourra être réalisé qu’à la condition d’un changement de paradigme de la politique suisse. Et il faudra pour cela faire tomber bien des œillères, car l’on parle ici de considérer finalement les droits sociaux comme des droits humains à part entière, et non plus comme quelque appendice gênant et encombrant. Tant que ce principe ne trouvera pas de majorité politique pour le soutenir, la route vers la Charte sociale restera longue et semée d’embûches. Mais continuer à se braquer contre ce consensus mondial serait comme de se tirer une balle dans le pied. Alors que la NZZ juge encore ridicule «l’histoire sans fin» de la Charte sociale européenne, il convient de rappeler que ce qui est ridicule, c’est bien le repli sur soi, et pas les efforts entrepris pour le dépasser.

Sources

Sur la polémique lancée par la NZZ

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