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Levée de l’admission provisoire: le principe de proportionnalité doit s’appliquer selon le TAF

23.03.2021

Dans un arrêt de principe, le Tribunal administratif fédéral rappelle le Secrétariat d’Etat aux migrations à l’ordre: le principe de proportionnalité doit impérativement s’appliquer lors de l’examen périodique des admissions provisoires pour les étranger·ère·s en Suisse. Il juge que la levée d’une admission provisoire prononcée par le SEM n’était pas conforme à ce principe et que l’intérêt du recourant à rester en Suisse l’emporte sur l’intérêt public à son renvoi.

Dans son arrêt du 28 octobre 2020 concernant un ressortissant érythréen, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a tranché: la levée de l’admission provisoire doit être évaluée à la lumière d’autres critères que ceux qui ont présidé à son octroi, notamment le degré d’intégration de l’étranger·ère en Suisse. Une pesée complète des intérêts en présence doit se faire lors de ces examens périodiques même si les conditions de l’exécution du renvoi prévues à l’art. 83 al. 2 et 4 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) sont réalisées. Cette décision appelle à une meilleure prise en compte de l’évolution de la situation des personnes au bénéfice d’une admission provisoire.

L’intégration poussée du recourant invoquée

Le TAF a admis le recours du jeune Erythréen arrivé en Suisse en 2015 quelques mois après sa majorité, afin de se soustraire à ses obligations militaires. Le SEM avait refusé de reconnaître la qualité de réfugié au recourant, ayant rejeté sa demande d’asile mais lui ayant octroyé l’admission provisoire, eu égard à la situation en Érythrée et à sa situation personnelle. Il avait finalement révoqué ce statut et prononcé le renvoi en 2019, invoquant un arrêt de 2017 fondé sur une nouvelle analyse de la situation en Érythrée.

En agissant ainsi, le Service des migrations n’avait cependant pas pu convaincre le Tribunal administratif fédéral. Dans ses considérants, ce dernier relève que l’examen effectué par le SEM lors de la révocation de ce statut n’est pas le même que celui qui est effectué lors de l’octroi de l’admission provisoire: la perte de ce statut peut en effet entraîner des changements importants en lien avec la situation des personnes qui séjournent légalement en Suisse, parfois depuis de nombreuses années et qui y ont fondé un projet de vie. En cas de perte de ce statut, ces personnes devront se soumettre à l’aide d’urgence. Ainsi, à l’issue de son examen, le SEM devra à présent impérativement procéder à une pesée des intérêts privés et publics en présence. Les juges précisent que même si tous les obstacles (antérieurs) à l'exécution (art. 83 par. 2 à 4 LEI) ne sont plus applicables, l'admission provisoire ne peut être levée que si le renvoi s'avère également proportionné. L’autorité appelée à statuer doit procéder à une pesée des intérêts en présence entre, d’une part, l’intérêt public à l’exécution du renvoi de la personne étrangère et, d’autre part, l’intérêt de la poursuite du séjour de celle-ci en Suisse, au regard notamment du degré d’intégration de l’étranger·ère et des difficultés de réinstallation dans son Etat d’origine.

Dans sa décision, le TAF relève que le recourant a suivi depuis son arrivée avec beaucoup d’assiduité des cours de français et une formation dans le canton de Vaud: après des stages en entreprise et des emplois à durée déterminée, il avait entrepris un apprentissage d’électricien dès août 2019. Tous les témoignages et attestations montrent qu’il était très motivé et apprécié. Le TAF soutient que, depuis cinq ans, le jeune homme « a fourni des efforts particulièrement significatifs pour se former et intégrer rapidement le marché du travail», or les juges de Saint Gall considèrent que la levée de son statut réduirait ses efforts à néant. Le recourant ne fait par ailleurs l’objet d’aucune condamnation pénale, ni d’aucune poursuite et n’a pas adopté de comportement en inadéquation avec le respect de l’ordre public suisse.

L’intérêt du recourant à rester en Suisse l’emportant ainsi sur l’intérêt public à son renvoi, l’admission provisoire est maintenue, la décision du TAF étant définitive et non susceptible de recours au Tribunal fédéral.

Un arrêt qui met des limites à la pratique du SEM

Lorsqu’un·e étranger·ère est admis·e à titre provisoire en Suisse, le SEM vérifie de manière périodique si les conditions prévues par la loi sont toujours remplies (83 al. 2 à 4 LEI). Si tel n’est plus le cas, l’autorité peut lever l’admission provisoire et ordonner l’exécution du renvoi (art. 84 al. 2 LEI). Selon la jurisprudence suivie jusqu’à présent, une admission provisoire ne peut être levée qu’à la condition que l'exécution du renvoi de l'étranger·ère soit licite et qu'il puisse raisonnablement être exigé d’elle ou de lui de retourner dans son pays d'origine. Il incombe au SEM de vérifier que les conditions précitées soient cumulativement remplies. Pour les juges de Saint-Gall, le principe de proportionnalité, qui vaut de manière générale pour les révocations d’autorisations de séjour, doit aussi s’appliquer lors de la levée de l’admission provisoire à l’art. 84 al. 2 LEI. Dans ses considérants, le TAF relève que l’examen effectué par le SEM lors de la révocation de ce statut n’est pas le même que celui qui est effectué lors de l’octroi de l’admission provisoire: la perte de ce statut peut en effet entraîner des changements importants en lien avec la situation des personnes qui séjournent légalement en Suisse, parfois depuis de nombreuses années et qui y ont fondé un projet de vie. En cas de perte de ce statut, ces personnes devront se soumettre à l’aide d’urgence. Ainsi, à l’issue de son examen, le SEM devra à présent impérativement procéder à une pesée des intérêts privés et publics en présence.

Dans son arrêt rendu le 17 août 2017, le TAF a considéré que le renvoi d’Erythréen·ne·s dans leur pays d’origine s’avérait licite à certaines conditions. À la suite de cet arrêt et d’une motion parlementaire, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a annoncé en septembre 2018 son intention de réexaminer le statut de 2'800 ressortissant·e·s érythréen·ne·s admis·e·s à titre provisoire, faisant suite à un projet pilote concernant, dans un premier temps, 250 Erythréen·ne·s. Du rapport du Conseil fédéral en réponse à cette motion ressort la conclusion du SEM selon laquelle la levée des admissions n’était proportionnée et défendable sur le plan juridique que dans 5,2 % des cas examinés. L'admission provisoire n'a pas pu être levée dans tous les autres cas examinés: soit le retour des personnes concernées en Érythrée n’a toujours pas été jugé raisonnablement exigible, soit la levée de leur admission provisoire a été jugée contraire au principe de proportionnalité.

L’arrêt de principe du TAF confirme le fait que les possibilités de lever les admissions provisoires sont strictement limitées. En exigeant une pesée complète des intérêts et un examen de la situation actuelle des personnes concernées, cet arrêt vient réaffirmer les conditions strictes auxquelles est soumise la levée d'une admission provisoire.

Les Érythréen·ne·s toujours menacé·e·s

Le TAF est parvenu à la conclusion que la situation générale du point de vue des droits humains en Érythrée ne constituait pas un obstacle au renvoi du recourant, les juges estimant que celui-ci n’est pas soumis à des risques de mauvais traitements à son retour en Érythrée. Dans son arrêt d’août 2017, le TAF avait déjà indiqué que les conditions de vie en Érythrée s’étaient améliorées ces dernières années, en particulier en matière d’accès à la formation, à l’eau potable, à la nourriture et à des soins médicaux de base.

La réalité est cependant toute autre que celle décrite par le TAF. L’Observatoire romand du droit d’asile dénonce dans un dossier consacré à la question le fait que le SEM et le TAF continuent d’appliquer un durcissement, alors que la situation des droits humains en Érythrée ne s’est de loin pas améliorée. Le Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pointait en 2018 encore le «sombre tableau» de la situation des droits de l’homme dans le pays. Le Comité de l’ONU contre la torture a par ailleurs déterminé cette même année que le renvoi d’un ressortissant érythréen de la Suisse vers Érythrée violait la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants. Si le Conseil fédéral maintient que les décisions de lever une admission provisoire sont toujours «édictées dans le droit fil de la Constitution fédérale et de la Convention contre la torture», la pratique du SEM reste très problématique du point de vue des droits humains. De nombreux rapports des organisations internationales pointent les risques d’enrôlement dans l’armée et de traitements inhumains à l’encontre des requérant·e·s d’asile érythréen·ne·s en cas de renvoi. Devenant la cible de persécutions étatiques en raison de leur fuite du pays, synonyme d’opposition au régime érythréen, elles et ils encourent aussi des actes de répression. Les autorités suisses en matière d’asile doivent aujourd’hui tenir compte de la situation dramatique dans laquelle se trouvent les requérant·e·s d’asile érythréen·ne·s en Suisse.

Le maintien de l’admission provisoire n’entraîne donc pas la levée du renvoi; or celui-ci ne peut pas être exécuté sauf si la personne est volontaire, l'Érythrée continuant de s'opposer aux rapatriements forcés même pour les personnes dont l'admission provisoire a été levée. Aussi se pose la question du statut des personnes détentrices de l’admission provisoire: la société civile dénonce depuis longtemps les effets pervers du permis F. La levée de l’admission provisoire condamne en effet les personnes concernées à la misère de l’aide d’urgence en Suisse: un retrait du statut du recourant aurait impliqué pour le jeune Érythréen une interdiction de travailler en Suisse, le conduisant à l’absence de perspectives. Ce sort menace toutefois l’ensemble des Érythréen·ne·s dont l'admission provisoire est levée, ces ressortissant·e·s ne pouvant pas retourner dans leur pays sans risquer de voir leurs droits humains bafoués. Le Conseil fédéral souhaite encore durcir la loi sur les étrangers et l’intégration, interdisant aux personnes admises à titre provisoire de voyager, aussi, la situation de ces dernières ne s'améliorera pas dans un avenir proche.

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