15.07.2024
En 2015, un homme dépose une demande d’asile en Nouvelle-Zélande. La raison qu’il invoque: il peut se prévaloir de la qualité de réfugié car son pays d’origine, Kiribati, est devenu inhabitable en raison du changement climatique. Estimant que son renvoi viole son droit à la vie, il porte l’affaire devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui rend son appréciation en 2020. Si celui-ci ne reconnait pas d’atteinte au droit à la vie dans ce cas particulier, il estime en revanche qu’une telle logique est sur le principe recevable. Cette décision est fondamentale pour des affaires similaires, et met en lumière un sujet qui occupera toujours plus les États à l’avenir.
Aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes, multiplication des catastrophes naturelles, élévation du niveau de la mer: il ne s’agit là que de quelques-unes des conséquences du changement climatique, qui rendent un nombre croissant de terres inhabitables, obligeant leurs habitant·e·x·s à fuir - quelque 200 millions concernées d’ici à 2050 d’après les expert·e·x·s. Nombre d’entre elles sont ce qu’on appelle des «personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays», ou «internally displaced persons (IDP)». En 2022, l’Internal Displacement Monitoring Center (IDMC) en a recensé 32,6 millions, un nombre jamais atteint auparavant. Certaines personnes sont toutefois contraintes de quitter leur pays, parcourant des milliers de kilomètres pour se mettre en sécurité.
Situation juridique
Un·e·x réfugié·e·x est une personne qui, du fait de son origine ethnique, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques, est exposée à de sérieux préjudices ou craint à juste titre de l’être, se trouvant par conséquent dans l’impossibilité de demeurer dans son pays d’origine. Au sens de la Convention de Genève relative au statut de réfugié et de la loi suisse sur l’asile, seule une personne exposée à des menaces personnellement dirigées contre elle peut recevoir officiellement le statut de réfugiée. Or les personnes touchées par le changement climatique ne remplissent pas cette condition, car elles appartiennent à un groupe forcé d’abandonner son lieu de résidence, à la suite d’une catastrophe naturelle par exemple. N’étant pas personnellement menacées, elles sont privées de la protection dont bénéficient les réfugié·e·x·s au sens de la Convention de Genève.
Les exemples suivants illustrent la situation actuelle des personnes en fuite pour des motifs climatiques:
- En raison de la pénurie d’eau et de la sécheresse, un pays voit les conflits armés se multiplier. Persécutée dans le cadre de ces conflits, une personne est contrainte de fuir. Dans ce cas, elle peut être considérée comme réfugiée au sens de la Convention de Genève.
- Un glissement de terrain détruit un village. Les habitant·e·x·s doivent fuir mais, n’étant pas personnellement menacé·e·x·s, ne peuvent obtenir le statut de réfugié·e·x. Si leur pays leur refuse une aide ciblée pour l’un des motifs cités dans la Convention de Genève, celle-ci est néanmoins applicable.
- À la suite de l’élévation du niveau de la mer, un État insulaire disparaît. Les habitant·e·x·s doivent fuir dans un autre pays mais, là encore, n’étant pas personnellement menacé·e·x·s, ne peuvent être officiellement reconnu·e·x·s comme réfugié·e·x·s.
Le principe de non-refoulement interdit le renvoi d’une personne vers un pays où celle-ci est exposée à des risques de persécution ou de traitements inhumains, ou à des menaces pour sa vie ou son intégrité corporelle. D’après le Comité des droits de l’homme de l’ONU, ce principe est applicable tant que le pays concerné demeure inhabitable, que ce soit à cause d’une catastrophe naturelle, d’un conflit attisé par le changement climatique, ou pour toute autre raison. Dans une certaine mesure, les personnes en fuite pour des motifs climatiques peuvent ainsi bénéficier d’une protection internationale, mais uniquement si un retour dans une autre région de leur pays est exclu.
Cette situation est insatisfaisante: des personnes en fuite se voient refuser le statut de réfugiées, sans toutefois pouvoir retourner dans leur pays, devenu inhabitable.
Pistes de solutions
En 2012, la Suisse et la Norvège lancent l’Initiative Nansen, qui vise à améliorer la protection des personnes déplacées à la suite de catastrophes naturelles. Le projet s’est achevé en 2015, avec l’élaboration d’un agenda de protection ainsi que la création d’une plateforme dédiée aux déplacements liés au changement climatique (Platform on Disaster Displacement), qui continue de chercher des solutions à cette problématique. Les actions concrètes en faveur de l’instauration d’un statut juridique international fondé sur des règles uniformes pour les personnes en fuite pour des motifs climatiques sont rares; actuellement, la priorité est donnée aux mesures d’atténuation des catastrophes et de leurs conséquences.
Un État insulaire du Pacifique a déjà instauré une protection juridique ses citoyen·ne·x·s contre les effets du changement climatique: il s’agit de l’archipel de Tuvalu, gravement menacé par la montée des eaux, qui pourrait se retrouver totalement englouti en quelques décennies. Son gouvernement a négocié un traité avec l’Australie, qui accueillera chaque année 280 Tuvaluans.
En Allemagne, un conseil d’experts a proposé de créer un «passeport climatique», une «carte climatique» et un «visa de travail climatique». Le premier serait destiné aux personnes originaires de pays devenus inhabitables en raison du changement climatique; la deuxième s’adresserait aux personnes venant de pays gravement menacés par le changement climatique, qui bénéficieraient d’une autorisation de séjour jusqu’à ce que leur État d’origine ait mis en œuvre des mesures de protection suffisantes pour qu’elles puissent y retourner; le troisième serait quant à lui réservé aux personnes bénéficiant d’un contrat de travail en Allemagne et provenant de pays modérément touchés par le changement climatique. En recourant à ces outils, l’Allemagne assumerait sa part de responsabilité dans le changement climatique anthropique.
En Suisse, les quelques interventions politiques relatives au changement climatique comme motif de fuite se sont soldées par des échecs. Déposée en 2022, une motion qui demandait l’extension de l’application de la Convention de Genève aux «personnes déplacées en raison de catastrophes naturelles liées au changement climatique» a été rejetée en 2023. Une motion de 2021 exigeant à l’inverse que la Suisse s’oppose à une telle extension auprès de l’ONU a également été refusée.
Responsabilité de la Suisse
La majorité des réfugié·e·x·s et des personnes déplacées en raison de conflits vivent dans des pays tels que la Syrie, le Venezuela ou le Myanmar, qui sont particulièrement touchés par le changement climatique. La plupart des personnes contraintes de fuir à cause du changement climatique ou de catastrophes naturelles recherchent la sécurité dans leur propre pays.La Suisse ne compte donc pas parmi les principaux pays d’accueil des personnes en fuite pour des motifs climatiques. Se pose dès lors la question suivante: combien d’entre elles seraient véritablement susceptibles de venir y chercher la sécurité? Bien que vraisemblablement peu concernée par la question de l’accueil de migrant·e·x·s climatiques, la Suisse contribue massivement au changement climatique et à ses effets néfastes dans le monde entier. Elle a donc le devoir d’assumer ses responsabilités, en participant à la recherche de réponses globales à la question de la migration climatique.