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Renvoi d’un homosexuel: la Suisse de nouveau condamnée par Strasbourg

18.12.2024

L’arrêt M.I. c. Suisse marque à nouveau une nouvelle condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants. La Cour a estimé que le renvoi d’un demandeur d’asile iranien homosexuel vers son pays d’origine exposerait celui-ci à un risque réel de subir des traitements inhumains.

Dans son arrêt du 12 novembre 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) conclut que les autorités suisses n’ont pas suffisamment examiné le risque de mauvais traitements encouru par un citoyen iranien homosexuel, ni pris en compte l’absence de protection de l’État iranien fournie contre ces traitements infligés par la famille ou d’autres acteurs non-étatiques. Elle conclut ainsi qu’à défaut d’un nouvel examen, le renvoi entraînerait la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Ce nouvel arrêt vient s’ajouter à l’affaire B et C c. Suisse, lors de laquelle la Suisse avait été condamnée en 2020 pour violation de l’interdiction de traitements inhumains en raison du renvoi d’un citoyen homosexuel vers la Gambie. La Suisse n'avait pas suffisamment examiné si une protection contre la persécution par des acteurs non-étatiques était garantie en Gambie, où le climat est largement homophobe.

Renvoyé en Iran malgré les risques encourus

M.I. décide de quitter son pays après avoir subi une persécution de la part de sa famille en raison de son orientation sexuelle. Il se réfugie en Suisse en 2019 et y dépose une demande d’asile le 28 mars. Le Secrétariat d’état aux migrations (SEM) rejette la demande en argumentant raisonnablement attendre d’une personne requérante d’asile qu'elle garde le secret sur son orientation sexuelle en dehors de son cercle d'ami·e·x·s proches. Le requérant dépose alors un recours contre la décision du SEM auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Dans son arrêt du 2 juin 2021, le TAF rejette le recours et confirme la décision du SEM. M.I fait alors une demande de révision de la décision du TAF, qui est également rejetée le 1er décembre 2022. Le requérant dépose finalement une demande de mesures provisoires auprès de la CrEDH.

Le requérant reproche aux autorités suisses de ne pas avoir mené un examen attentif, rigoureux et indépendant de la situation en Iran, et notamment de ne pas avoir pris en compte le contexte social iranien, hostile aux personnes LGBTQIA+. M.I. affirme qu’un retour en Iran l’exposerait à de multiples risques, tels qu’une arrestation, de mauvais traitements voire la mort, qui émaneraient tant des autorités que de sa famille ou d’autres acteurs non-étatiques.
Les autorités suisses ont mis en doute la crédibilité du récit du requérant, lui reprochant d’avoir décrit les faits de manière trop vague et incomplète. Elles estiment que le requérant ne risque pas de subir de mauvais traitements s’il retourne en Iran à condition qu'il y vive son homosexualité de manière «discrète», arguant qu’il n’avait pas été confronté à de tels risques lors des huit dernières années passées en Iran.

L’orientation sexuelle ne peut être dissimulée

Le 23 novembre 2021, la CrEDH statue sur la demande du requérant de manière positive et indique à la Suisse qu’elle ne devrait pas procéder au renvoi du requérant tant que la procédure est en cours. Dans son arrêt du 22 novembre 2024, la Cour conclut tout d’abord, en mentionnant l’arrêt J.K. et autres c. Suède, que les autorités nationales doivent accorder le bénéfice du doute aux personnes demandeuses d’asile lorsqu’elles apprécient la crédibilité de leurs déclarations, en particulier lorsque les preuves de persécution sont difficiles à obtenir. Elle indique également que l’examen du risque doit être appuyé par des rapports nationaux et par d’autres sources fiables et objectives.
La Cour considère que l'orientation sexuelle du requérant, qu'elle soit ou non connue des autorités iraniennes, des membres de sa famille ou de la population, pourrait être découverte ultérieurement si le requérant était renvoyé en Iran. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime également que le fait qu’un requérant puisse éviter la persécution en se dissimulant ou qu’il ait dû le faire par le passé n’est pas une raison valable pour refuser le statut de réfugié. Il indique que garder secrète son orientation sexuelle n’est pas une solution en soi et estime que le risque de persécution et de découverte ne dépend pas uniquement du comportement de l’individu, mais du contexte social, qui exige que toute personne se conforme aux normes sociales (telles que se marier, avoir des enfants).

Pas de protection pour les personnes LGBTQIA+ en Iran

Les juges de Strasbourg estiment par ailleurs que les autorités suisses n’ont pas suffisamment examiné si les autorités iraniennes avaient la volonté et la capacité de protéger efficacement le requérant en cas de persécutions après son retour.
Évoquant l’arrêt F.G. c. Suède, la CrEDH rappelle que, dans de tels contextes de demande d’asile où un risque général est bien connu, les autorités nationales devraient procéder d’office à une évaluation du risque dans les cas concrets.

Or dans le cas de l’Iran, les violations des droits humains des personnes LGBTQIA+ sont largement documentées. Les organisations Stonewall et African Rainbow Family ont confirmé dans une tierce-intervention les différents risques auxquels sont exposées les personnes LGBTQIA+, notamment le mariage forcé, le harcèlement, la violence et les crimes d’honneur perpétrés aussi bien par des membres de la famille que par des acteurs non-étatiques. L’arrêt s’appuie également sur le Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui documente les risques encourus par les personnes LGBTQIA+ en Iran. Ces dernières sont passibles de peines allant de la flagellation à la peine de mort, comme en attestent les deux exécutions recensées en 2021.

Par ailleurs, le rapport national britannique «Country Policy and information Note: sexual orientation and gender identity or expression, Iran, June 2022», souligne non seulement l’absence de lois protégeant les personnes LGBTQIA+ en Iran, mais aussi l’absence de volonté de l’État de vouloir mettre en place une telle protection. Ces rapports mentionnent également le refus des autorités iraniennes d’enquêter, de poursuivre et de punir les auteurs de violences à l’encontre de ce groupe de personnes.

Si l’existence de lois incriminant les actes homosexuels ne rend pas l’expulsion d’une personne vers ce pays contraire à l’article 3 CEDH, la CrEDH estime que c’est le cas lorsqu’il existe un risque réel que ces lois soient effectivement appliquées. La Cour estime par ailleurs qu’une protection étatique aurait dû être établie par les autorités suisses.