20.01.2020
Jusqu'à présent, l'assurance-invalidité (AI) refusait toute prestation aux personnes dépendantes, confortée en ceci par la jurisprudence du Tribunal fédéral. Mais un récent arrêt de ce dernier marque un changement d’orientation.
L'affaire qui a été jugée par le Tribunal fédéral concernait un serrurier sur véhicule de 44 ans qui n'était plus en mesure de travailler en raison de consommation de substances anxiolytiques et calmantes. Au moment de sa demande de rente invalidité, il exerçait une activité lucrative dans un lieu de travail protégé dans le cadre duquel son incapacité de travailler était de 50%.
Un rapport mandaté par l’office AI du canton de Zurich dans les domaines de la psychiatrie, de l'orthopédie et de la traumatologie a démontré que la personne concernée souffrait d'une dépendance à des substances sous contrôle médical. Elle souffrait également d’un trouble de la personnalité et de douleurs chroniques dans l'articulation de la cheville droite. Selon le rapport de l'AI, le recourant était dans une incapacité totale de travailler.
Malgré les conclusions de l'expertise en question, l’office AI du canton de Zürich a finalement nié l'obligation de verser des prestations, tout comme le tribunal cantonal des assurances sociales, qui est parvenu à la même conclusion. Les deux instances ont soutenu que l'incapacité de travail de la personne concernée était principalement due à sa dépendance et qu’elle pouvait surmonter cette incapacité à travailler à tout moment en procédant à un sevrage. Une argumentation qui correspondait à la jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral.
Virage du Tribunal fédéral
Dans son arrêt déterminant du 11 juillet 2019, le Tribunal fédéral a conclu que l'obligation de verser des prestations AI ne peut être refusée d’emblée en cas de dépendance. Selon les connaissances médicales actuelles, le sevrage n'est en aucun cas raisonnable ou en mesure d’obtenir des résultats dans toutes les situations. Les options et résultats de thérapies individuelles varient considérablement. Un examen au cas par cas de la situation est nécessaire, comme le prévoit déjà la pratique pour les demandes de prestations AI liées à des troubles psychologiques.
Dans le cadre de cet examen, l'influence de l'atteinte à la santé sur la capacité de travail doit être clarifiée par un spécialiste. Il convient d'examiner si l'ampleur de la dépendance représente effectivement une atteinte à la santé, si cela entraîne une incapacité de gain pour la personne concernée et dans quelle mesure l’atteinte à la santé due à la dépendance est la cause de cette incapacité. En cas de réponse affirmative à ces questions et si la personne dépendante participe activement à un traitement médical raisonnable conformément à son devoir d’atténuer les dommages selon l'article 7 de la Loi fédérale sur l'assurance-invalidité (LAI), les prestations AI ne peuvent être refusées ou réduites.
Sur la base de cet argument, les juges de Mon-Repos ont établi que le recourant avait droit à une rente d’invalidité complète. Il s'agit d'un virage majeur de la jurisprudence suisse, selon laquelle toutes les demandes de prestations AI de personnes souffrant de dépendance pouvaient jusque-là être rejetées sans une procédure structurée d’examen des preuves.
La dépendance est une maladie psychique
En médecine, la dépendance et désormais considérée comme un trouble psychologique et comportemental. Étant donné que la Convention européenne des droits de l'homme (art. 14 CEDH) et la Constitution fédérale suisse (art. 8 Cst.) interdisent la discrimination fondée sur une déficience mentale ou psychique, l'exclusion systématique des personnes souffrant de dépendance des prestations AI viole le droit suisse et les droits humains.
Même si, selon la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, la pertinence des troubles de l’utilisation de substances ne peut être écartée d’emblée en matière de droit de l’assurance-invalidité, l'élément causal entre les atteintes à la santé et l'incapacité de gain ainsi que l’exigibilité d'une activité lucrative sont en dernier ressort soumis à l'appréciation des autorités. Les personnes victimes de dépendances ne sont ainsi toujours pas assurées de pouvoir toucher une rente AI, impliquant qu’il faut rester vigilant sur cette question et maintenir un examen critique des décisions à venir.
La volonté populaire à l’œuvre
Le concept d’invalidité a changé au fil du temps et il ne fait pas l’unanimité sur la plan politique. Au cours de l'été 2007, le peuple suisse a adopté la cinquième révision de la l’AI. Depuis lors, le concept d’invalidité ne devrait pas connaître de durcissement lié à l’exclusion automatiques de certains types de diagnostics. Comme le montre le message du Conseil fédéral, il s'agit plutôt d'examiner si l'atteinte à la santé est la cause de l'incapacité de gain et, par conséquent, s'il est déraisonnable d'attendre de cette personne qu'elle exerce une activité lucrative. La décision du Tribunal fédéral correspond donc à ce principe et bénéficie ainsi d'un soutien démocratique.