10.02.2025
Bien qu’elles portent atteinte à la dignité humaine des détenue·x·s, les fouilles corporelles systématiques menées dans les établissements pénitentiaires sont justifiées selon le Tribunal fédéral, dans la mesure où elles permettent de préserver la sécurité en leur sein. Le fait que la personne soumise à la fouille se trouve en exécution de peine ou en internement ne fait aucune différence. Cet arrêt est un revers pour la lutte en faveur d’un internement plus conforme aux droits humains en Suisse.
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Dans son arrêt du 5 septembre 2024, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence selon laquelle les fouilles corporelles systématiques avec déshabillage complet des détenu·e·x·s constituent en soi une atteinte aux droits fondamentaux, mais peuvent être considérées comme proportionnées dans certaines circonstances. Le fait que la personne concernée se trouve en internement et non en exécution de peine ne joue aucun rôle: seul le lieu où sont réalisées les fouilles corporelles a été déclaré inadmissible par les juges de Monrepos.
Dans l’établissement pénitentiaire de Thorberg, les détenu·e·x·s sont soumis·e·x·s à une fouille corporelle avec déshabillage complet après chaque rencontre avec une personne venue de l’extérieur. La zone dédiée aux visites ne sépare en effet pas physiquement les personnes incarcérées de celles venues leur rendre visite. De plus, dans cet espace, les proches et les détenu·e·x·s utilisent les mêmes toilettes. Selon la direction de l’établissement pénitentiaire, des objets et des substances illicites sont fréquemment introduits dans la prison par cette voie. Une fouille corporelle standardisée systématique se révèle ainsi nécessaire après chaque visite pour des raisons de sécurité; en l’absence d’une telle mesure, les visites ne pourraient se poursuivre.
Interné, A. a déposé un recours contre cette atteinte à sa dignité qui n’est pas justifiée et demande que des contrôles corporels soient menés de manière irrégulière, appropriée et proportionnée, sans qu’un déshabillage intégral soit exigé. Étant donné qu’il se trouve en internement et non en régime d’exécution de peine, un aménagement spécifique doit être prévu.
L’atteinte à la dignité humaine est justifiée
Si le Tribunal fédéral reconnaît que la fouille corporelle restreint le droit à la liberté personnelle (art. 10, al. 2 Cst.) et la protection de la sphère privée (art. 13, al. 1 Cst.), il considère que cette intervention peut être considérée comme proportionnée. D’une part, il existe une base légale suffisante, qui justifie que les personnes détenues peuvent être soumises à une fouille corporelle si elles sont soupçonnées de dissimuler des objets interdits sur elles (art. 85, al. 2 CP.). Cette inspection peut également comprendre le contrôle du corps nu, mais sans examen des cavités corporelles. D’autre part, la fouille corporelle constitue un moyen efficace de garantir la sécurité de l’établissement pénitentiaire et d’éliminer les objets introduits. Sans le caractère systématique de l’intervention, les visites ne pourraient pas être poursuivies, ce qui irait à l’encontre de l’intérêt des détenu·e·x·s. Si des mesures moins radicales, telles que l’installation de vitres de séparation ou des détecteurs de métaux, seraient possibles, elles constitueraient un inconvénient pour la sécurité de l’établissement pénitentiaire et porteraient également atteinte aux droits fondamentaux. Le Tribunal fédéral admet cependant que le lieu où se déroule la fouille corporelle est insatisfaisant.
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence précédente (ATF 141 I 141) concernant la prison genevoise de Champ-Dollon, au sein de laquelle une personne en exécution de peine a été soumise à 38 fouilles corporelles en l’espace d’un an. Il considère que les fouilles corporelles systématiques après les visites sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) malgré une procédure standardisée: sans ces inspections, la sécurité de la prison serait compromise et les personnes en visite ne pourraient exercer leurs droits. Des mesures moins radicales existent, mais celles-ci présentent des inconvénients. Les juges de Monrepos avancent par ailleurs qu’il serait utile de ne pas intervenir davantage dans les compétences des cantons, qui disposent d’une certaine marge de manœuvre dans l’organisation du système carcéral.
L’internement doit être clairement distingué de l’exécution de la peine
Bien que A. n’exécute pas de peine mais est interné, le Tribunal fédéral s’en tient à la jurisprudence de son précédent arrêt sur le cas genevois: même dans le cadre d’un internement, les personnes détenues n’ont pas un droit à un contact avec le monde extérieur indépendant et non soumis à des contrôles des circonstances concrètes. Ainsi, les fouilles corporelles peuvent également être conduites après les visites auprès d’une personne internée. Le Tribunal fédéral ne répond pas plus en détail sur les arguments de A., selon lesquels l’internement, contrairement à l’exécution de peine, ne présente pas de caractère punitif et qu’un tel traitement équivaut à une double peine.
L’internement ne constitue pas une peine, mais une mesure préventive, qui vise à éviter la récidive. Il doit donc se distinguer clairement de l’exécution d’une peine dans sa conception matérielle, notamment parce que la personne internée a déjà purgé cette dernière. Dans la pratique, cet aménagement se révèle toutefois difficile à mettre en œuvre en raison du manque d’établissements spécialisés. Les personnes concernées sont donc le plus souvent internées dans des établissements pénitentiaires conventionnels avec dans les mêmes conditions que les autres détenue·x·s. Selon la CrEDH, cette réalité constitue une double peine. En 2022, un rapport rédigé par la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) avait également conclu que l’internement pratiqué en Suisse ne respectait que partiellement les droits fondamentaux. En 2023, le Tribunal fédéral s’est penché sur le cas d’une personne internée dans un établissement pénitentiaire et a envisagé la possibilité qu’il soit contraire à la CEDH. Les juges ont toutefois conclu que les fouilles corporelles se justifient également pour les personnes internées, ce qui constitue une décision pour le moins surprenante.
Un revers pour faire valoir les droits humains des personnes internée
Cet arrêt représente un important recul des efforts visant à rendre l’internement davantage conforme aux droits humains. Bien qu’il existe une différence fondamentale entre le cas d’espèce et l’affaire genevoise de 2015, le Tribunal fédéral s’en tient à cette jurisprudence malgré le fait que A. ait déjà purgé sa peine. La double peine qui en résulte n’est guère abordée dans l’arrêt, alors qu’elle devrait être déterminante pour évaluer le caractère proportionnel de l’atteinte. L’argument selon lequel les mesures sont indispensables à la sécurité de l’établissement pénitentiaire fait écho aux voix qui se sont élevées à plusieurs reprises dans le monde politique pour réclamer davantage de sécurité; toutefois, il porte atteinte au sens et à l’objectif initiaux de l’internement en tant que mesure thérapeutique.
Contact
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Livia Schmid
Responsable de la consultation juridique pour les personnes en détention
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