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La détention d’enfants et de jeunes en vertu de la loi sur les étrangers est toujours d’actualité en Suisse

13.05.2019

Les critiques formulées de longue date à l’encontre de cette pratique restent jusqu’à ce jour sans réponse.


Des ONG publient régulièrement des rapports critiquant la pratique de détention d’enfants et de jeunes en vertu de la loi sur les étrangers. Une étude menée à la demande de la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) démontre également qu'il est urgent d'agir. Entre 2011 et 2014, quelques 200 mineur-e-s ont été mis-e-s en détention suite à une décision d’asile négative. Plus sensible encore, en Suisse, des enfants de moins de 15 ans sont concernés par ces «mesures administratives». Ce faisant, les autorités violent non seulement la Convention de l'ONU relative aux droits des enfants, mais également le droit national applicable.

Chiffres exacts inconnu

Du fait que les cantons n’indiquent pas de manière systématique combien de mineur-e-s sont en détention administrative et que certains ont même renoncé à communiquer leurs chiffres, le nombre de mineur-e-s concernés ne peut être qu’estimé. La fondation Terre des hommes, dans son rapport publié en novembre 2018, a par ailleurs constaté que les chiffres du Secrétariat de l’Etat à la Migration (SEM) sont jusqu’à 4 fois plus élevés que les données individuelles mises à disposition par les cantons. Malgré le manque de fiabilité des données, il est tout de même possible de tirer quelques conclusions sur la situation des cantons. Alors que la majorité des cantons ne place pas en détention des mineur-e-s de moins de 15 ans, 89% des cas de détention de mineur-e-s n’ayant pas atteint l’âge légal de détention sont le fait du canton de Berne.

Mesures contestables pour un manque de résultat

La détention administrative d’enfants et des jeunes sans permis de séjour sert à assurer l’exécution du renvoi (entre autres art. 76 LEI) et peut être ordonnée à la condition que le renvoi est susceptible d’être exécuté dans un délai prévisible. Cependant, le rapport de la Commission de gestion du Conseil national a mis en doute l’existence de ce lien de causalité dans la pratique, en révélant notamment que le taux de départ après une détention est plus faible chez les jeunes que chez les adultes. L'objectif du départ n’est donc pas atteint et selon les auteur-e-s cela démontre que les mesures ne sont que partiellement opportunes.  

S’ajoute à cela le fait que les conditions de détention violent dans une certaine mesure le droit international. Par exemple, les mineur-e-s doivent être strictement séparé-e-s des adultes et des activités de loisirs doivent être disponibles. Souvent, cela n'est pourtant pas le cas, comme la souligné le Comité de l'ONU contre la torture (CAT). Terre des hommes critique également la pratique actuelle: «Alors que certains cantons suivent la recommandation de ne pas emprisonner des enfants, des enfants sont emprisonnés dans certains cantons avec des adultes avec lesquels ils n'ont aucun lien et qui viennent en partie d'un environnement criminel». Dans certains cantons, les mineur-e-s semblent même devoir passer leur détention administrative dans des établissements pénitentiaires. Toujours selon Tdh, la prison de l'aéroport de Zürich Kloten est la seule institution suisse capable de garantir une séparation stricte entre mineur-e-s et adultes en détention administrative.

Qu’en est-il du bien-être de l’enfant ?

Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU va encore plus loin dans son analyse. Même si la Convention autorise de telles détentions en dernier ressort, les enfants, c'est-à-dire toutes personnes âgées de moins de 18 ans, ne peuvent en principe pas être détenus en raison du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3 CIDE). Ceci s'applique, qu'ils soient accompagnés d'un adulte ou non. Terre des hommes soutient à ce sujet, que la détention administrative peut nuire aux enfants et adolescent-e-s et entraîner des symptômes cliniques graves tels que la dépression sévères, l'anxiété, les troubles post-traumatiques et même l'automutilation.

Ironiquement, certains cantons justifient la détention d'enfants de moins de 15 ans justement par l'intérêt supérieur de l'enfant, la détention empêchant la séparation des parents et des enfants. Les expert-e-s conviennent toutefois que la détention d'enfants de moins de 15 ans est illégale dans la situation juridique actuelle, même si elle est effectuée dans le cadre de liens familiaux et que le mandat d'arrêt ne s'applique pas aux enfants mais à leurs parents.

Peut-on espérer une modification de la loi ?

Toujours selon le rapport publié par Tdh, seuls deux cantons ont interdit la détention de migrant-e-s mineur-e-s. Six cantons ont renoncé à la mettre en pratique tandis que 8 autres cantons considèrent que c’est une mesure obligatoire prévue par la loi.

Une interdiction générale et nationale de la détention de migrant-e-s mineur-e-s en vertu du droit des étrangers ne se profile pas non plus. Lors de la session de printemps 2019, le Conseil national a rejeté l’initiative parlementaire y relative de la conseillère nationale Lisa Mazzone (Verts/GE) avec 118 voix contre 57 et 3 absentions. Le Parlement campe ainsi sur ses positions.

Même dans le cas des demandeur-e-s d'asile mineur-e-s non accompagné-e-s, le Conseil fédéral, en réponse à une interpellation en 2016 de la conseillère nationale Valérie Piller Carrard (PS/FR), a déclaré qu’il ne voyait pas la nécessité d'agir, puisque «la détention de mineur-e-s non accompagné-e-s n’est ordonnée que dans des cas extrêmes et pour la durée la plus brève possible». Cela malgré la résolution du Conseil de l’Europe, approuvée par la Suisse, qui exige des Etats membres de renoncer à la détention des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s. Cette exigence est respectée par d’autres pays européens, eux aussi fortement concernés par la migration, comme la Hongrie, l’Italie ou l’Espagne, où les mesures de détention à l’encontre de mineur-e-s sont interdites.

Commentaire de humanrights.ch

Pour les mineur-e-s, la privation de liberté représente une atteinte particulièrement importante à leur liberté personnelle et au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être respecté en priorité. Un motif d'emprisonnement motivé uniquement par le droit des étrangers ne peut justifier une telle atteinte aux droits de l'enfant. Certains cantons soutiennent que l'emprisonnement des enfants de moins de 15 ans est dans l'intérêt supérieur de l'enfant, empêchant la séparation de l'enfant de ses parents. Cet argument est cynique. Comme le montre la pratique des nombreux cantons qui renoncent à ces mesures extrêmes, il existe suffisamment d'alternatives pour garantir l'exécution d'une expulsion. L'ordre de détention administrative des mineur-e-s n'est donc en aucun cas raisonnable, comme l'ont souligné divers organismes internationaux de défense des droits humains. Il est grand temps que le Conseil fédéral prenne au sérieux son devoir de surveillance des cantons en matière de l’exécution de renvoi. Des mesures législatives sont nécessaires pour interdire la détention d'enfants et d'adolescent-e-s de moins de 18 ans en vertu de la loi sur les étrangers dans tous les cas et dans tous les cantons.

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