23.02.2023
Communication n°887/2018, décision du 22 juillet 2022
Le Comité contre la torture (CAT) a considéré que le renvoi par la Suisse d'une femme érythréenne devant effectuer son service militaire violait l'article 3 de la Convention contre la torture.
En 2014, A.Y. fuit son pays par crainte d'être affectée au service militaire. En 2015, elle dépose une demande d’asile en Suisse, qui est rejetée par le Secrétariat aux migrations (SEM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF) en 2016, jugeant son récit invraisemblable. La requérante dépose une plainte individuelle devant le CAT en 2018.
Le Comité a d'abord déclaré que la Suisse n'a pas évalué la demande de A.Y de manière exhaustive. Les autorités migratoires ont considéré que son audition initiale était représentative de sa demande, et ont rejeté les détails qu’elle a fournis par la suite. L’entretien initial étant cependant très bref, les questions et le temps accordé pour y répondre étaient insuffisants. La requérante s’est référée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (M.A. c. Suisse), qui estime que la différence de nature des deux audiences devant les autorités migratoires ne pouvait être ignorée lors de l'évaluation de la crédibilité.
Le CAT a par ailleurs considéré que les autorités suisses n'avaient pas fourni d'informations objectives sur l'Érythrée pour apprécier le risque de torture auquel serait exposée la requérante à son retour. Le CAT a critiqué l’appréciation de l’Érythrée par la Suisse, qui ne reflète pas la réalité du pays, ainsi que son argumentation selon laquelle le Danemark et le Royaume-Uni partagent ses conclusions, celles-ci n’étant pas non plus objectives. Le CAT a souligné que les sources de la société civile et des ressortissant·e·s en exil sont plus susceptibles de représenter des récits de première main fiables et non censurés.
Le Comité relève par ailleurs que le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes s’est montré préoccupé des conséquences du service militaire national obligatoire sur les droits des femmes érythréennes. Il s’appuie également sur les conclusions du Rapporteur spécial sur l'Érythrée selon lesquelles les réfractaires au service militaire ne bénéficient pas d'une procédure régulière d’arrestation et de détention. Les conscrits sont régulièrement retenus au-delà de la limite légale dans des conditions de vie extrêmement dures, qui subissent des abus sexuels et des punitions sévères. Les déserteurs et les demandeur·euse·s d'asile renvoyé·s en Érythrée sont puni·e·s par de longues périodes de détention, de torture et d'autres formes de traitement inhumain ou dégradant. Les femmes détenues sont exposées à de multiples formes d'abus, notamment des violences sexuelles.
Aussi le CAT considère-t-il que A.Y. encourt un risque réel et avéré d'être soumise à la torture si elle est renvoyée en Érythrée.