18.12.2024
En juin 2023, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la Suisse a violé le droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial dans l'affaire Sperisen: la juge qui présidait la chambre pénale d'appel et de révision n'avait pas fait preuve de l'impartialité requise.
Dans son arrêt du 13 juin 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) conclut que le droit d’Erwin Sperisen à un procès impartial selon l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a bel et bien été violé. Erwin Sperisen avait contesté l'impartialité de la juge qui présidait la chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) de la Cour de justice du canton de Genève en avançant que ses décisions contenaient des formulations tendancieuses.
En 2014, Erwin Sperisen est condamné à 15 ans de prison pour l’assassinat de sept prisonniers lors de l’assaut de la prison de Pavon Guatemala. Depuis, cette affaire avait occupé les tribunaux suisses. Après une nouvelle condamnation d’Erwin Sperisen par la CPAR le 27 avril 2018, ses avocats avaient déposé un recours auprès du Tribunal fédéral et demandé la récusation de la présidente de la CPAR. Bien que cette dernière ait été rejetée, la CrEDH a estimé que les observations du 3 octobre 2017 de la juge en cause «dépass[ent] l’énoncé d’un simple soupçon», et conclu qu’Erwin Sperisen pouvait raisonnablement craindre que celle-ci ait eu une idée préconçue sur sa culpabilité même dans l’exercice de sa fonction de juge de la CPAR. Par conséquent, M. Sperisen a été privé du droit à un procès équitable prévu à l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en raison du défaut d'impartialité de la juge.
La juge n’était pas impartiale
En 2017, la juge en cause, agissant alors en qualité de juge dans le cadre d’une ordonnance de détention, rejette une demande de mise en liberté de M. Sperisen. Après plusieurs autres audiences avec la même juge, M. Sperisen forme une première demande de récusation de la juge, lui reprochant un manque d'impartialité; son parti pris l’aurait notamment amenée à refuser la mise en liberté de M. Sperisen. Toutes les demandes de récusation déposées sont rejetées. En avril 2018, Erwin Sperisen est reconnu coupable de complicité d’assassinat par la CPAR de Genève et est condamné à 15 ans de prison. La juge en cause - qui avait refusé la mise en liberté - agit dans ce procès en tant que juge d'appel. M. Sperisen conteste le jugement alléguant notamment que les raisonnements présentés par la juge dans le cadre de ses demandes de mise en liberté montraient qu'elle n'était pas impartiale dans sa fonction de juge d'appel.
La CrEDH définit l'impartialité par l'absence de préjugés et de parti pris. Elle précise que le seul fait qu'un juge d'appel ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne constitue pas une preuve d'impartialité. Les juges de Strasbourg ont examiné la déclaration faite par la juge dans le cadre de la demande de mise en liberté; selon ellee il existait «des charges suffisantes» contre M. Sperisen qui rendaient la perspective d’une condamnation «vraisemblable» et certains éléments du dossier pénal «continu[ai]ent de parler en faveur de la culpabilité». La juge s’est exprimée sur la nécessité du maintien du requérant en détention non pas au début de l’enquête pénale dirigée contre l’intéressé, mais au moment où le dossier d’instruction était déjà complet et finalisé. Or la Cour estime que les observations de la juge «dépassaient l'énoncé d'un simple soupçon et qu’elles démontraient que l’écart entre l’appréciation portée sur l’opportunité du maintien en détention et l’établissement de sa culpabilité à l’issue du procès était devenu minime». M. Sperisen pouvait donc craindre que la juge, en sa qualité de juge d'appel, eût une idée préconçue sur sa culpabilité. La CrEDH a estimé que l'instance d'appel présidée par la juge en question ne présentait pas les garanties d'impartialité exigées par l'article 6 paragraphe 1 de la CEDH.
Pas de violation reconnue malgré des critiques relatives à la détention
Erwin Sperisen critique par ailleurs les conditions de détention à la prison de Champ-Dollon et estime qu’il a connu un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la CEDH. Durant sa détention, il a été placé à l'isolement pendant cinq ans. En 2016, ses conditions de détention ont été dénoncées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT). Les autorités suisses n'ont toutefois pris aucune des mesures recommandées par le CPT. Comme les voies de recours nationales contre les conditions de détention illicites n'ont pas été épuisées, la CrEDH a rejeté ce grief.
M. Sperisen dénonce également la durée déraisonnable de sa détention préventive, de sa détention de sûreté ainsi que de l’assignation à résidence ordonnée après sa libération. Il invoque à cet égard l'article 5 paragraphe 3 de la CEDH (droit d'être jugé dans un délai raisonnable). Compte tenu de la tardiveté du grief, la CrEDH le rejette.
Une nouvelle procédure en Suisse
Si une violation de la CEDH est constatée dans un arrêt définitif de la CrEDH, une demande de révision du jugement peut être formulée auprès du Tribunal fédéral. En raison de laviolation du droit à l'impartialité dans la procédure, le Tribunal fédéral a renvoyé la procédure au stade où la juge partiale a rejeté la demande de mise en liberté. Il en a résulté l'annulation de la condamnation cantonale de M. Sperisen à 15 ans de prison pour complicité d’assassinat, entraînant sa libération.
La CPAR genevoise a jugé l'affaire une nouvelle fois et reconnu M. Sperisen coupable de complicité d’assassinat, le condamnant cette fois à une peine légèrement réduite, de 14 ans de prison. M. Sperisen n'a pas encore été placé en détention et ses avocats vont probablement faire appel de ce jugement devant le Tribunal fédéral.
humanrights.ch suit le cas d’Erwin Sperisen notamment en raison des conditions de détention extrêmement problématiques, caractérisées par un isolement trop long et dangereux.