13.02.2017
Texte d'Alex Sutter, publié la première fois en tant que commentaire dans la NZZ du 1er février 2017
Imaginons. Imaginons que le Parlement adopte une loi permettant de mettre en détention préventive les personnes constituant une menace. Imaginons un instant que cette loi prévoit que les personnes considérées comme dangereuses du fait de leur radicalisme islamiste puissent être détenues pour un temps indéterminé par le biais d’une procédure administrative. Imaginons encore que les autorités élargissent dans un second temps cette procédure administrative destinée à protéger notre population à d’autres groupes, tels que les hooligans récalcitrants ou les meneurs d’extrême droite.
Ce que nous imaginons ici va bien dans la direction indiquée par Markus Mohler. L’ancien commandant de la police bâloise et chargé de cours à l’Université a lancé il y a peu dans la NZZ une proposition assez proche. Il désire en effet modifier substantiellement le système de la détention légitime telle que la comprend l’Etat de droit en y intégrant la possibilité d’enfermer des personnes qui n’ont commis aucun délit pénal. Ce faisant, il joint sa voix au chœur toujours plus grand que vient gonfler chaque attentat survenu chez nos voisins. Un fort courant de société est à l’œuvre en ce moment, qui érode toujours plus le fondement de l’état de droit. Celui-là même qui nous assure de ne pas pouvoir être mis en prison du seul fait de nos convictions ou des caractéristiques que d’autres nous attribueraient. Cette tendance existe aussi en matière de régime pénitentiaire. On tend toujours plus à rallonger la peine de certains détenus dans la crainte qu’ils ne fassent mauvais usage de leur liberté une fois celle-ci retrouvée.
La proposition de Mohler est bien dans ce sillage. Dans son commentaire dans la NZZ, il pose le placement à des fins d’assistance en modèle. Un internement forcé en hôpital psychiatrique implique une restriction sévère du droit à la liberté, une restriction légitimée par l’intérêt public à la sécurité. Pour qu’un tel placement puisse avoir lieu, il faut que la personne concernée présente un désordre ou un handicap mental qui s’exprime par un comportement dangereux mettant gravement en péril la personne elle-même ou autrui. Mohler transpose ce paradigme à la sécurité publique et à la lutte contre le terrorisme. Pour lui, il est du devoir de l’Etat de protéger durablement la société de personnes considérées dangereuses non pas pour leurs actions, mais pour leurs convictions. Ce qui aujourd’hui tombe sous la protection de la liberté d’expression et de pensée, tel que l’idéologie choisie par une personne, les points de vue qu’elle peut émettre et ses modèles de comportement, deviendraient dans le futur d’après Mohler des motifs de détention administrative, d’emprisonnement donc, dès que la personne concernée serait jugée «dangereuse» par les autorités.
Cette idée n’est autre qu’une porte ouverte à toutes les dérives. Le retour d’un climat de chasse aux sorcières. Les droits de certains individus se réduiraient comme peau chagrin, au prétexte de protéger tous les autres, susceptibles de pâtir de ce que Monsieur Mohler, à l’instar des services secrets allemands, nomme les «Gefährdern»: celles et ceux qui constituent une menace. Autrement dit, on demanderait aux forces de l’ordre de négliger systématiquement les droits fondamentaux de quelques-uns pour protéger ceux, soi-disant menacés, des autres membres de la société. Mais c’est justement pour éviter cela que fût créée la protection des droits de l'homme moderne.
La détention de sécurité discutée par Mohler devrait en principe être illimitée dans le temps. Si besoin était, elle pourrait durer à vie. Et pour faire bonne mesure, elle implique en outre une surveillance généralisée de tout ce que pense et dit la population dans son ensemble.
La question est là: cette vision n’est-elle pas elle-même une dangereuse idéologie qui mérite d’être combattue dans la mesure où elle ouvre la voie à un Etat qui serait à la fois policier et totalitaire?
Sources
- Keine neue Hexenjagd
Commentaire d'Alex Sutter dans la NZZ du 1er février 2017 (avec commentaires en ligne) - Über den Umgang mit Gefährdern
Commentaire de Markus Mohler dans la NZZ du 12 janvier 2017 (avec commentaires en ligne)