20.01.2022
Le Tribunal fédéral a ordonné la destruction du profil ADN et d’empreintes digitales d’activistes climatiques à l’origine du blocus d’une banque bâloise en 2019. En plus d’être disproportionnées et attentatoires à la liberté personnelle ainsi qu’à l’autodétermination informationnelle, ces mesures d’identification prises par le Ministère public ont un effet dissuasif contraire à la liberté d’expression.
Dans le cadre des «Climate Action Days» en 2019 à Bâle, des militant·e·s climatiques avaient été arrêté·e·s par la police et leurs profils ADN établis. Cette décision a été jugée disproportionnée par le Tribunal fédéral, qui rappelle aux autorités cantonales que le recueil de données signalétiques et l’établissement de profils ADN doivent respecter des conditions strictes.
Un rappel à l’ordre bienvenu dans un contexte législatif qui penche de plus en plus vers la répression d’activistes pacifistes à travers des pratiques menaçant les droits humains tels que le droit à la liberté d’expression et de réunion, nécessaire à la vie démocratique.
Les données signalétiques n’auraient pas dû être relevées
Dans trois arrêts du 22 avril 2021, (1B_286/2020, 1B_294/2020; 1B_287/2020, 1B_293/2020; 1B_285/2020) le Tribunal fédéral conclut que le prélèvement des empreintes et des profils ADN de trois activistes était disproportionné.
N'ayant pas obtempéré à l'ordre de la police de quitter les lieux, trois militant·e·s soupçonné·e·s d'avoir inscrit des slogans autour d’un bâtiment avec du charbon, masqué des caméras de surveillance et bloqué des entrées avaient été provisoirement arrêté·e·s. Le Ministère public du canton de Bâle-Ville avait alors ouvert une enquête pour contrainte, émeute, violation de domicile, dommage à la propriété et entrave à l’action de la police, et dans ce cadre, avait ordonné que le profil ADN des activistes soit établi.
En réponse au recours de ces dernier·ère·s contre cette décision, la Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a ordonné la destruction du profil ADN de deux activistes. Les juges ont considéré dans le cas de la troisième personne que la mesure était proportionnée, argumentant que celle-ci avait déjà été condamnée pour sa participation à une émeute et qu’il existait une grande vraisemblance que de graves actes similaires aient déjà été commis ou le seraient à l’avenir dans le cadre de son militantisme.
Les trois activistes ont alors formé trois recours auprès du Tribunal fédéral, qui les a admis et a ordonné la destruction des empreintes digitales et du profil ADN.
Des limites à l’établissement de profils ADN et de prélèvement d’empreintes digitales
Le Code de procédure pénale autorise l’établissement du profil ADN d’une personne suspectée afin d’élucider un crime ou un délit (art. 255 al. 1 let. a CPP). L’établissement d’un tel profil est autorisé pour identifier les suspect·e·s de crimes ou de délits encore inconnus ou non perpétrés, dans la perspective d'éventuelles infractions pénales futures (art. 197 al. 1, art. 255 al. 1 let. a et art. 259 CPP; art. 1 al. 2 let. a et art. 16 de la loi sur les profils d'ADN).
Les dispositions relatives à l'établissement de profils ADN s'appliquent de la même manière à la saisie de données signalétiques (art. 260, al. 1, CPP), qui comprend le prélèvement d'empreintes digitales. À la différence des profils ADN, celui-ci peut également être ordonné en cas de contravention.
Des limites sont toutefois posées à l’application de ces dispositions: les mesures coercitives ne peuvent être ordonnées que si l’existence de soupçons suffisants d’infraction est établie, que des mesures moins sévères ne peuvent mener aux mêmes buts et qu’elles soient justifiées par la gravité de l’infraction (art. 197 al. 1 CPP). De plus, les mesures de contrainte qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui n’ont pas le statut de prévenu doivent être appliquées avec une retenue particulière (art. 197 al. 2 CPP).
Aucun indice pour la commission d’infractions futures
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral émet des doutes quant à savoir si les infractions reprochées, à savoir contre l’ordre, respectivement la paix publique et non contre l’intégrité corporelle, revêtaient déjà l’importance requise pour justifier les mesures de contrainte prises.
Les juges constatent par ailleurs qu’aucun indice ne permet de penser que des infractions futures ou déjà commises pourraient atteindre le niveau de gravité requis pour l’établissement d’un profil ADN. La Cour admet que le fait d’avoir été condamné·e pour émeute peut constituer une raison suffisante suivant les circonstances, mais rappelle que cela ne doit pas être automatiquement le cas.
Dans le cas d’espèce, s’il est établi que la personne recourante a participé à un rassemblement non autorisé au cours duquel des infractions pénales ont été commises, elle n'est pas pour autant accusée d'une propension personnelle à la violence. Le Tribunal fédéral invalide l’argument de l’instance inférieure selon lequel le fait que la personne recourante se soit déplacée en train jusqu’à Bâle pour cet événement tend à montrer qu’elle pourrait commettre d’autres délits. La Cour n’est pas non plus convaincue par l’argumentation des juges bâlois·e·s qui considèrent que le fait que l’activiste n’ait pas répondu aux injonctions policières de quitter les lieux démontrerait une propension à commettre d’autres infractions. Enfin, la présomption selon laquelle le recourant évolue dans un milieu militant est purement spéculative. Les mesures de contrainte ordonnées n'étaient donc pas nécessaires pour atteindre l'objectif visé, à savoir l'élucidation et la prévention de futurs délits d'une certaine gravité.
Actions pacifistes: le «fichage» est disproportionné
Le Tribunal fédéral reconnaît par ailleurs que le sentiment de «fichage» peut entraîner un effet dissuasif et déclare que la crainte de conséquences négatives ne doit pas dissuader quiconque d’user de son droit ; aussi, il considère que le fichage systématique n’est jamais proportionné.
L’effet dissuasif peut toutefois être souhaité dans le cadre de manifestations violentes selon la Haute Cour. Les juges rappellent que l’action en question ne peut pas être qualifiée de manifestation violente en raison de son but premier non-violent, même si des dégâts ont été causés, et exclut totalement la pesée d’intérêts privés et publics dans le cas d’une action pacifique et autorisée.
Par ailleurs, ni les profils ADN ni les empreintes digitales ne sont nécessaires pour clarifier les délits concrets, puisque le fait que les personnes concernées ont participé à la manifestation n’est pas contesté. De plus, aucune trace n'a été relevée sur les objets endommagés.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral conclut que l’établissement de profils ADN ainsi que le prélèvement d’empreintes digitales constituaient une mesure disproportionnée par rapport au droit à l’autodétermination informationnelle : la préservation de l’intérêt public pour prévenir ce genre d’infractions, qui n’affectent peu voire pas la sécurité publique, ne pouvait ainsi pas être invoqué.
Le Tribunal fédéral défend la liberté d’expression et de réunion
Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral admet que le fait d’éviter de futures infractions ou d’en résoudre d’autres profite à l’intérêt public et que l’établissement d’un profil ADN et le prélèvement d’empreintes digitales est adapté à ce but (1B_685/2011 ; 1B_693/2011). La Haute Cour a toutefois concrétisé ces limites: l’établissement routinier de profils ADN est prohibé, ces mesures restreignant les droits fondamentaux à l’intégrité physique et à l’autodétermination informationnelle. Les manifestations pacifiques en question sont par ailleurs protégées par la liberté d’expression et de réunion.
Aussi, pour être conforme au principe de la proportionnalité, le Tribunal fédéral confirme que tant l'établissement d'un profil ADN que le prélèvement d’empreintes digitales dans la perspective d'éventuelles infractions pénales futures supposent des indices sérieux et concrets que l'accusé·e pourrait être impliqué·e dans de telles infractions et que celles-ci soient d'une certaine gravité (145 IV 263). En 2014, les juges fédéraux·ales ont rendu un arrêt de principe en la matière, jugeant les pratiques de la police bernoise en matière de prélèvements d'ADN et de prélèvement d’empreintes digitales non conformes à la loi. En 2015, la Cour a à nouveau tranché contre l’établissement systématique de profils ADN par la police. Les juges ont considéré que les conditions pour un prélèvement d’ADN n’étaient pas réunies, du fait que l’identité des activistes était établie, que le délit commis était d’ordre mineur et qu’il n’existait pas de soupçons suffisants qu’ils/elles commettent d’autres délits d’une certaine gravité.
Dans un arrêt de 2019 (1B_17/2019), alors que la personne prévenue était condamnée pour menaces, dommages à la propriété, lésions corporelles simple et éventuellement violation de domicile, la Haute Cour a toutefois considéré que son comportement et son trouble de la personnalité constituaient des indices sérieux et concrets pour l’établissement d’un profil ADN.
Aussi, si les arrêts du Tribunal fédéral cassant le jugement bâlois réaffirment la nécessité de garantir une protection des droits fondamentaux des activistes, les récents développements en matière de répression montrent que les indices d’infractions futures pourraient former la base de décisions pénales à l’avenir.