18.12.2023
La liberté de religion des particuliers dans le cadre des rapports de travail est protégée par la loi. Des exceptions permettent toutefois aux entreprises publiques ou aux entreprises à but idéal de limiter la liberté de religion des employé·e·x·s.
Le lieu de travail occasionne des rencontres entre différentes personnes pouvant avoir une pratique religieuse. Si les conflits juridiques dans le domaine du droit du travail sont rares, le traitement des employé·e·x·s pratiquant une religion soulève toujours des questions dans la pratique.
Droits fondamentaux et contrat de travail
Le droit fondamental à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.) constitue la base de la pratique religieuse dans le cadre des relations de travail. Conformément à la Constitution fédérale (art. 35, al. 3, Cst.), les autorités doivent veiller à ce que les droits fondamentaux soient également protégés dans le domaine privé, y compris au sein des relations de travail entre particuliers. Le droit fondamental à la liberté de religion dans les rapports de travail privés est notamment couvert par la protection de la personnalité garantie par le code des obligations (art. 328 al. 1) et la protection contre le licenciement abusif pour une raison inhérente à la personnalité (art. 336, al. 1 let. a CO). Les employeur·euse·x·s ont un devoir d'assistance et doivent à ce titre protéger et respecter les travailleur·euse·x·s (art. 321d CO). L'obligation de protection générale revêt à ce titre une importance toute particulière.
Les entreprises «à but idéal», c’est-à-dire ayant une orientation religieuse ou philosophique, constituent une exception. Dans ce cas, les employeur·euse·x·s peuvent demander aux employé·e·x·s de partager certaines conceptions et d’adopter certains comportements. C’est par exemple le cas pour les églises, qui peuvent exiger de leurs employé·e·x·s le respect d’un devoir de loyauté élevé, ce qui peut entrer en conflit avec leurs droits fondamentaux.
Discrimination à l'embauche
Nombreux sont les préjugés à l'égard des personnes pratiquant une religion sur le marché du travail. Si les refus d'embauche à raison du sexe sont discriminatoires et interdits par la Loi sur l'égalité (art. 3 LEG), ce n’est pas le cas pour des motifs religieux. Les employeur·e·x·s privé·e·x·s ne sont pas soumis·e·x·s à l'interdiction de discrimination à l'embauche (art. 35, al. 3, Cst.) et peuvent donc refuser d'engager certain·e·x·s demandeur·euse·x·s d'emploi pour des raisons religieuses. Il est toutefois possible de s'opposer juridiquement à un refus d'embauche discriminatoire pour des motifs religieux en invoquant la protection de la personnalité (art. 28, al. 1, CC) et l'obligation d'agir selon les règles de la bonne foi (art. 2 CC).
On peut ainsi se demander si les personnes bénéficiant de l'aide sociale en particulier doivent renoncer à porter des vêtements religieux ou à respecter des prescriptions religieuses afin d'augmenter leur employabilité. Il arrive en effet que ces personnes ne trouvent d’emplois ou n’en acceptent pas en raison d’une incompatibilité avec leurs convictions religieuses. Les personnes portant un voile font par exemple face à une discrimination structurelle lors de la recherche d'un emploi, et les personnes juives orthodoxes ne veulent pas accepter certains emplois dans la restauration pour éviter d’être en contact avec de la nourriture non casher. Les autorités responsables de l'aide sociale doivent respecter les droits fondamentaux et contribuer à leur mise en œuvre. Des atteintes à la liberté de religion peuvent être justifiées dans certaines circonstances, tant que l'essence du droit est respectée. En 1997, le Tribunal fédéral des assurances a toutefois rendu un arrêt (C 366/96) selon lequel la liberté de religion passe avant l'obligation de réduire le dommage. Le fait de les placer devant le choix inadmissible de vivre dans la pauvreté économique ou de violer une prescription religieuse importante à leurs yeux entraînerait en effet un conflit de conscience important pour les bénéficiaires de l'aide sociale.
Obligations religieuses pendant le temps de travail
Les besoins qu’on les personnes pratiquantes pour observer le respect de leurs obligations religieuses diffèrent: il s’agit tant de prières à certaines heures de la journée que du port de symboles et de vêtements religieux, ou encore du respect des jours fériés religieux. Ces exigences entrent parfois en conflit avec leur contexte de travail, justifiant l'existence de dispositions légales en la matière.
Les employeur·euse·x·s ne peuvent interdire les prières pendant les pauses. Selon la loi sur le travail (art. 48, al. 1, let. A LTr), les employé·e·x·s ont un droit de participation pour organiser les pauses. Dans la mesure où l’organisation du travail le permet, les employeur·euse·x·s doivent tenir compte des heures de prière des employé·e·x·s qui le demandent. En vertu du devoir d'assistance et de la protection de la personnalité, les employeur·euse·x·s doivent mettre à disposition des employé·e·x·s, dans la mesure du possible, un lieu approprié pour prier en toute tranquillité. Certaines grandes entreprises ont mis en place un «espace de silence» ou une salle de prière oecuménique à disposition des collaborateur·euse·x·s de toutes les religions et confessions. Pour ne pas enfreindre le devoir de loyauté, les employé·e·x·s doivent informer leurs employeur·euse·x·s de leurs absences sous peine de conséquences pouvant aller jusqu'au licenciement.
Dans le cadre d'une relation de travail privée, le port d'un symbole religieux, tel qu'un foulard ou un dastar, ne peut être interdit que par des dispositions contractuelles ou des directives basées sur des motifs objectifs. Une interdiction peut être prononcée pour des raisons objectives telles que l'hygiène, la sécurité ou l'entrave à l'exécution correcte du travail. Le refus par un·e employé·e·x d'ôter un vêtement religieux ne constitue pas un manquement à son obligation d'obéissance si cela n’est pas nécessaire pour l’entreprise, et ne constitue donc pas un motif de licenciement. Un licenciement ne peut être légitime que si ce refus entraîne des effets négatifs, objectifs et démontrables sur la possibilité d’exécuter correctement l'obligation de travail et sur le devoir de loyauté.
Dans la fonction publique, l'exercice de la liberté de religion des employé·e·x·s – par le port de symboles ou de vêtements religieux sur le lieu de travail par exemple – peut être limité selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 123 I 296). Cette limitation est justifiée par la représentation des employé·e·x·s d'un État neutre sur le plan idéologique. Les enseignant·e·x·s des écoles publiques peuvent par exemple se voir interdire le port du voile (voir l'article Religion à l'école).
Les employé·e·x·s ont également la possibilité de ne pas travailler les jours fériés religieux non reconnus par la loi; si l’employeur·euse·x en est informé·e·x au moins trois jours à l'avance, un jour de repos doit être accordé (art. 20a, al. 2, LTr), mais il n'est toutefois pas payé, ou doit être compensé (art. 11 LTr). Le temps nécessaire pour assister à des cérémonies religieuses doit également être libéré dans la mesure du possible (art. 20a al. 3 LTr).
Licenciement pour motifs religieux
Un licenciement prononcé pour des motifs touchant au noyau dur de la liberté de religion – à savoir l’appartenance religieuse – est toujours abusif (art. 336 al. 1 let. b CO), sauf si la pratique religieuse implique une violation des obligations découlant du contrat de travail ou une atteinte importante à la collaboration au sein de l'entreprise.
Les entreprises à but idéal sont notamment concernées par ce cas de figure. Le licenciement d'un membre du mouvement Moon qui travaillait comme secrétaire syndical dans une entreprise de tendance est notamment justifié. Le Tribunal fédéral a considéré que ce licenciement était légitime au regard de l'incompatibilité des conceptions du mouvement Moon avec le syndicat concerné (ATF 130 III 699).