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Bases juridiques nationales relatives à la religion et aux communautés religieuses

12.09.2023

En Suisse, le droit constitutionnel et public régissant les relations entre l’Église et l’État, désigné auparavant par le terme droit ecclésiastique, règle les normes juridiques relatives aux religions et aux communautés religieuses. En font partie tant des articles constitutionnels que les dispositions de certaines lois, à l’instar de l’article 14 de la Loi fédérale sur la protection des animaux (LPA), qui traite de l’importation autorisée de viande kacher et halal. À l’échelle nationale, deux articles de la Constitution portent explicitement sur la religion: l’article 15 prévoit la liberté de conscience, de croyance et de religion, et l’article 72 détermine la compétence réglant les rapports entre l’État et les communautés religieuses. Selon le principe de subsidiarité, la gestion de ces relations relève de la compétence des cantons, qui abordent la religion de manière différente.

Liberté de religion, de conscience et de croyance

Devoir de neutralité de l’État dans le cadre de la liberté de religion

Conformément à l’article 8, alinéa 1 de la Constitution, tous les êtres humains sont égaux devant la loi, indépendamment de leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques (al. 2). Ainsi, l’État doit maintenir une position neutre face à celles-ci et garantir la liberté de religion pour tou·te·s·x (art. 15 Cst.). Si l’obligation de l’État à agir de manière neutre découle de la liberté de religion, elle n’est pas expressément inscrite dans la Constitution. En revanche, de nombreuses constitutions cantonales se réfèrent à «Dieu» dans leurs préambules, mention qui donne régulièrement lieu à des interventions politiques et à des débats virulents.

Dans la pratique juridique suisse, l’État doit respecter son devoir de neutralité lorsqu’il détermine si un groupe de personnes peut être qualifié de «communauté religieuse» et si la liberté de religion peut être invoquée. Il tient ainsi compte de la manière dont les personnes concernées se définissent et dont les communautés religieuses se perçoivent. Le Tribunal fédéral a par exemple reconnu la scientologie comme religion puisqu’elle se décrit comme telle (ATF 125 I 369, 373-374). En Suisse, la communauté scientologue a donc le droit d’invoquer la liberté de religion dans la limite des droits fondamentaux. Cependant, en Allemagne, la Cour fédéral du travail (Bundesarbeitsgericht) a décrété que la scientologie ne peut constituer une communauté religieuse, car les activités exercées par ce groupe se rapprocheraient davantage de celle d’une entreprise commerciale, et les enseignements religieux prodigués ne serviraient que de prétextes à des fins économiques (BAG 1995, 951-953). Cette décision a engendré des incertitudes juridiques récurrentes, l’État et la communauté scientologue n’ayant pas la même définition de la scientologie.

Les personnes morales ne peuvent invoquer la liberté de religion que si elles poursuivent un but religieux ou ecclésiastique, conformément à leurs statuts. Ce sont donc principalement les personnes physiques qui sollicitent la protection de la liberté de conscience et de croyance. Si un conflit existe entre la description officielle d’une communauté religieuse et la manière dont les membres de ce groupe perçoivent leur religion, les tribunaux doivent rester neutres sur le plan idéologique et ne peuvent prendre parti.

Liberté de religion

La liberté de religion couvre toute conviction relative à la relation humaine au divin ou au transcendantal (ATF 119 Ia 178). Le champ de protection de la liberté religieuse se détermine donc essentiellement en fonction du point de vue subjectif des croyant·e·x·s (ATF 142 I 49). Il inclut également la liberté intime de croire ou de ne pas croire, ainsi que la liberté publique d’exprimer et de partager ses convictions religieuses ou idéologiques […] et de pratiquer les activités en lien avec celles-ci […], ce qui implique non seulement le droit d’accomplir des actes «cultuels», mais aussi la liberté de l’individu d’adapter son comportement selon des enseignements religieux et d’agir conformément à ses convictions intimes. Ceci concerne le respect des règles vestimentaires ainsi que d’autres règles de conduite (ATF 119 Ia 178).

Aspects de la liberté de religion

La liberté de religion contient une composante négative et sur une composante positive. La liberté de religion positive concerne la dimension individuelle et collective du droit d’adhérer à une religion: sur le plan individuel, chaque personne a le droit de choisir sa confession ou ses convictions idéologiques, d’appartenir à la communauté religieuse de son choix ou de n’en appartenir à aucune, de pratiquer sa religion seule ou en groupe, de manifester sa foi en public et de prendre part à des cultes ou à des enseignements religieux. La dimension collective permet à toutes les personnes de fonder une communauté religieuse, de se rassembler pour pratiquer leur religion, de nommer un·e·x meneur·euse·x, de diffuser leurs opinions religieuses et de recruter de nouveaux membres.

Selon la liberté de religion négative, personne ne peut être forcé par un État ou par un tiers à pratiquer certains rites religieux, à professer sa foi, à intégrer une communauté religieuse, à changer de religion ou à demeurer, contre son gré, au sein d’une communauté religieuse.

Restriction de la liberté de religion

Conformément à l’article 36 de la Constitution, la liberté de religion, comme tous les droits fondamentaux, peut faire l’objet d’une restriction. Toute restriction doit être fondée sur une base légale, doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et doit être proportionnelle au but visé. Son essence – dans ce cas, la liberté de religion négative – est inviolable.

L’article 15, consacré à la liberté de conscience et de croyance, a été adopté dans sa forme actuelle lors de la révision totale de la Constitution en 1999. Plusieurs initiatives populaires passées et actuelles ont mené à la création d’articles d’exception, qui désavantagent certaines communautés religieuses. Adoptée en 1893 avec 60% des votes, la première initiative populaire portait sur l’interdiction de l’abattage rituel. La campagne s’est non seulement articulée autour d’arguments favorables à la protection des animaux, mais également autour d’arguments antisémites. Aujourd’hui, l’abattage rituel est toujours interdit en Suisse. Toutefois, l’importation de viande kasher et halal est autorisée en vertu de la Loi sur la protection des animaux (LPA). D’autres articles d’exception, notamment l’interdiction des minarets votée en 2009 et l’interdiction de se dissimuler le visage acceptée par le peuple en 2020 (art. 72 al. 3 Cst., art. 10a Cst.), visent en particulier les communautés musulmanes.

Reconnaissance des communautés religieuses par l’État

Conformément à l’article 72 de la Constitution, la réglementation des rapports entre l’Église et l’État relève de la compétence des canton – l’ancienne formulation «Église» désignant aujourd’hui plus généralement les communautés religieuses. Tandis que les cantons de Genève et de Neuchâtel appliquent un modèle de séparation entre l’État et les Églises, les autres cantons collaborent avec les communautés religieuses en suivant un modèle de coopération. Il existe ainsi deux formes de reconnaissance, lesquelles structurent les rapports entre l’État et ces groupes de personnes. Toutefois, l’État ne reconnaît pas les religions en tant que telles, mais plutôt des organisations religieuses à l’échelle cantonale.

Reconnaissance en droit public

Lorsqu’une communauté religieuse est reconnue en droit public, elle devient une corporation de droit public et bénéficie ainsi de divers privilèges, notamment d’avantages financiers: dans la plupart des cantons, elle a le droit de prélever des impôts auprès des particuliers et des personnes morales, elle est exonérée de ces taxes et reçoit des contributions de l’État. Les institutions étatiques impliquent également la communauté religieuse, c’est-à-dire que celle-ci a le droit de fournir des services d’aumônerie dans les hôpitaux et dans les prisons, qu’elle peut proposer un enseignement religieux dans les écoles publiques et qu’elle peut profiter des services de l’administration publique, tels que le contrôle des habitants. Afin de bénéficier d’une reconnaissance en droit public, l’organisation juridique de la communauté religieuse doit généralement être en grande partie régie par le droit public du canton – par exemple, par une loi ecclésiastique – et non par le droit privé.

De nombreux cantons agissent toutefois selon leurs propres systèmes. Ainsi, au Tessin et en Valais, les évêchés et paroisses catholiques romains disposent du statut de droit public sans pour autant être autorisés à prélever des impôts. Les Églises sont toutefois soutenues par les prestations de l’État. Les cantons de Neuchâtel et de Genève appliquant un modèle de séparation entre l’Église et l’État, la reconnaissance en droit public y est donc inexistante. Dans le canton de Neuchâtel, un concordat conclu entre l’État et l’Église réformée évangélique du canton, l’Église catholique romaine et l’Église catholique chrétienne règle néanmoins juridiquement la coopération et accorde un soutien financier aux Églises.

Tous les cantons, à l’exception de Neuchâtel et de Genève, accordent une reconnaissance en droit public à l’Église catholique romaine et à l’Église protestante réformée. En outre, l’Église catholique chrétienne est reconnue par neuf cantons, et les communautés juives par six cantons.

Reconnaissance d’intérêt public

Les cantons peuvent reconnaître d’intérêt public certaines communautés religieuses. Au travers de cette reconnaissance, la communauté religieuse ne devient pas une corporation de droit public, mais est, par exemple, reconnue sous la forme d’une association de droit privé. Ce statut permet de souligner le rôle que joue une communauté religieuse dans la société et revêt donc principalement une valeur symbolique. Aucun privilège n’accompagne une reconnaissance d’intérêt public.

Seuls quelques cantons accordent ce statut. Le canton de Bâle-Ville reconnaît d’intérêt public deux communautés alévies, la Communauté des chrétiens et l’Église néo-apostolique. À Neuchâtel, c’est l’Église catholique-chrétienne qui dispose de ce statut, dans le canton de Vaud, ce sont les communités israélites, et à Zürich, la Israelitische Cultusgemeinde Zürich, ainsi que la Jüdische Liberale Gemeinde Zürich Or Chadasch.

Difficultés liées à la reconnaissance

Les conditions selon lesquelles une communauté religieuse peut être reconnue diffèrent selon les cantons, puisque la reconnaissance relève de la compétence de ces derniers. La plupart des cantons n’ont pas défini de conditions préalables à l’octroi d’un tel statut, qui est donc souvent accordé ou refusé pour des raisons politiques. Dans de nombreux cantons, les communautés religieuses reconnues sont inscrites dans la constitution cantonale, et de nouvelles communautés religieuses peuvent seulement être ajoutées par la voie d’un référendum obligatoire et d’une votation. Dans certains cantons, l’organe législatif peut reconnaître de manière autonome de nouvelles communautés religieuses par le biais d’une nouvelle loi, mais ce cas de figure n’exclut pas non plus le lancement d’un référendum facultatif. Étant donné qu’il s’agit d’un processus long et coûteux, les communautés religieuses en quête de reconnaissance sont confrontées à des obstacles considérables. Aucune nouvelle communauté religieuse n’a été reconnue en Suisse depuis 2012.

Dans la pratique, la reconnaissance publique n’est plus aussi pertinente qu’elle l’était autrefois, car les communautés religieuses non reconnues sont également impliquées dans certains domaines, à l’instar de l’aumônerie au sein des institutions publiques. Les différences en termes financiers et symboliques de ce système de reconnaissance constituent toutefois des inégalités importantes qui persistent entre les différentes communautés religieuses.

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