23.12.2020
28 ans après avoir ratifié le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Suisse refuse de mettre en place une feuille de route pour sa mise en œuvre et continue d’utiliser le fédéralisme comme excuse aux manquements observés.
Commentaire invité de Léa Winter, co-présidente de FIAN Suisse
Le 3 décembre 2020, la Suisse a organisé une conférence nationale en ligne afin de diffuser et de discuter des 31 recommandations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC) publiées en octobre 2019 suite au dernier examen de notre pays. Organisée sur une matinée en une succession d’interventions, cette réunion n’a malheureusement pas permis d’échanges constructifs entre la soixantaine de participant·e·s issu·e·s des différentes administrations de la Confédération et des cantons, du monde académique et juridique et de la société civile.
Analyse quantitative des autorités
Le Secrétariat d'État à l'économie (SECO), en charge de coordonner le suivi de la mise en œuvre, a présenté son analyse quantitative des recommandations, basée sur les résultats d’un questionnaire adressé aux cantons. L’objectif était de classifier les recommandations selon 3 critères: importance; pertinence politique; facilité de la mise en œuvre - afin d’en évaluer la priorité. Il s’avère que 20% des recommandations relèvent d’une priorité haute. L’ambassadrice Berset Bircher, cheffe de la délégation suisse, avait en effet déjà annoncé en juin dernier qu’il ne serait pas possible de répondre favorablement à toutes, vu leur nombre élevé et le manque de ressources de l’administration fédérale.
Priorisation des droits humains ?
Il a également été demandé à la société civile de centrer son intervention «sur les priorités identifiées parmi l’ensemble des recommandations». Léa Winter, coordinatrice du groupe de travail sur le Pacte I de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains, a dû rappeler qu’en travaillant selon une approche basée sur les droits, les droits fondamentaux sont considérés comme indivisibles et interdépendants et que la Suisse, en ratifiant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1992, s’est engagée à respecter, protéger et mettre en œuvre tous les droits qu’il contient et donc à appliquer toutes les recommandations du Comité à cette fin. Dans un pays riche comme le nôtre, il ne saurait être question d’invoquer un manque de ressources qui nous imposerait de faire des choix.
Urgences sociale et climatique
Au vu du contexte actuel, la société civile a tout de même voulu mettre en avant l’importance de respecter les droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la santé, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit du travail et le droit à la sécurité sociale, dans la mise en place des mesures spéciales prises par les autorités en cette période d’urgence. Au delà des distributions d’aide alimentaire dans toutes les grandes villes de Suisse, il faut mettre en place des solutions pérennes qui permettent aux bénéficiaires de recouvrer leur autonomie en matière alimentaire. Le droit au logement est également mis à mal compte tenu des mesures de distanciation imposées par le virus; le nombre de place d’hébergements d’urgence a drastiquement été réduit et de nombreuses personnes dorment dans la rue. Ces droits fondamentaux – socle de la dignité humaine – doivent être respectés, protégés et mis en œuvre pour toutes les personnes résidant sur le territoire national sans discrimination, notamment à l’encontre des personnes de nationalité étrangère, sans statut légal en Suisse, en situation de précarité, de handicap, demandeuses d’asile, appartenant à des minorités culturelles ou de genre.
Un grand nombre de personnes en Suisse ont vu leur situation se dégrader à cause de cette crise - elles ont perdu leur travail, leur revenu, parfois même leur logement et ont basculé dans la précarité. L’accès aux mécanismes d’aide doit être simplifié et les prestations harmonisées. Une attention particulière doit être portée à la santé mentale, aux violences domestiques et à la protection des travailleurs et travailleuses, notamment les personnes non déclarées actives dans l’économie domestique. Au-delà de la crise que nous vivons dont les répercussions sont immédiates et violentes, il ne faut pas oublier la crise climatique qui bouleverse la planète, mais sur laquelle il est encore temps d’agir pour en réduire l’impact en limitant le réchauffement global. Le comité a souligné cette urgence et demandé à la Suisse de revoir à la hausse l’objectif fixé pour l’année 2030 ainsi que de diminuer les investissements publics et privés dans l’industrie des combustibles fossiles.
Quid des recommandations transversales ?
Plusieurs exemples de bonnes pratiques ont été mis en avant par les différents intervenant·e·s issu·e·s des administrations cantonales. Malheureusement, les recommandations transversales concernant la justiciabilité, le mandat de la future institution nationale de droits humains (INDH) ou la coordination de la mise en œuvre n’ont pas été abordées malgré le fait que le Prof. Mikel Mancisidor, membre du CDESC, les ait soulignées dans son intervention. Il a néanmoins été relevé que les défis de notre système fédéraliste pour une mise en œuvre coordonnée de mesures étaient apparus clairement au cours de cette année, dans la gestion de la crise liée au COVID-19, non sans créer des situations discriminatoires.
Nécessité d’une feuille de route pour la mise en œuvre
Concernant la coordination de la mise en œuvre des recommandations du CDESC, la société civile a souligné l’existence d’une feuille de route pour la mise en œuvre des recommandations du Comité pour l'élimination de toutes les formes dediscrimination à l'égard des femmes (CEDEF). Ce document contient des indicateurs clairs ainsi qu’un échéancier, et précise les entités responsables de la mise en œuvre dans les différents départements de l’administration permettant aux organisations et personnes concernées de s’informer en toute transparence et de savoir comment/quand/auprès de qui intervenir. En dépit de ce précédent positif de l’avis des parties prenantes, l’ambassadrice Berset Bircher a réaffirmé qu’aucun plan d’action ne serait élaboré pour la mise en œuvre des recommandations du CDESC. Cette revendication est prioritaire pour la société civile qui ne peut qu’être déçue de cette position des autorités fédérales.
Prochaines étapes
Pour ce qui est des prochaines étapes du processus de suivi des recommandations, l’ambassadrice Berset Bircher a annoncé la publication d’un résumé de cette conférence du 3 décembre 2020 et évoqué l’organisation future d’ateliers thématiques. Les recommandations devraient également être présentées à la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil national en 2021.
La demande de la société civile aux autorités d’organiser un séminaire sur le même format que celui qui avait suivi le dernier examen de la Suisse en 2011 pour avancer concrètement sur des propositions de mise en œuvre concertée semble rester lettre morte. Dans l’attente, les organisations de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains restent à disposition pour continuer à travailler sur la mise en œuvre des DESC en Suisse avec toutes les personnes et entités concernées.