Le Tribunal fédéral admet le recours d’une écolière syrienne admise provisoirement contre le refus d’octroi d’une autorisation de séjour. Contrairement aux autorités fribourgeoises, le Tribunal fédéral reconnaît que, dans ce cas, l’admission provisoire constitue un désavantage et porte atteinte à la vie privée.
L’affaire concerne une jeune fille arrivée en Suisse à l’âge de cinq ans, en avril 2014, avec ses parents et ses frères et sœurs. Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) avait déjà rejeté la demande d’asile de toute la famille dix ans plus tôt et leur avait octroyé une admission provisoire. En 2021, le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg rejette la nouvelle demande d’autorisation de séjour de l’écolière. Cette décision est confirmée par le tribunal cantonal qui refuse de reconnaître une violation de l’art. 8 CEDH. Le Tribunal fédéral, qui a dû évaluer si le Tribunal cantonal avait correctement appliqué les garanties de l’article 8 CEDH et tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant selon l’article 3 de la Convention des droits de l’enfant (CDE), ne partage pas cet avis.
La jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme et du Tribunal fédéral
La CEDH et la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme ne prévoient pas un droit d’entrée ou de séjour général pour les personnes étrangères dans un pays donné. Chacun des États contractants a le droit de contrôler l’entrée de personnes sur son territoire, leur séjour ou leur refoulement. Certaines mesures des autorités limitant le droit de séjour d’une personne peuvent toutefois dans certains cas constituer des violations de l’article 8 CEDH, tout particulièrement lorsque la mesure a des conséquences disproportionnées sur la vie privée ou familiale de la personne concernée.
Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral constate également que le statut de personne admise provisoirement peut, dans certaines situations, porter atteinte à la vie privée. Afin de déterminer s’il existe une atteinte concrète à la vie privée, le Tribunal fédéral compare le statut lié à l’admission provisoire avec le statut relevant d’une autorisation de séjour. Dans son arrêt du 7 février 2024, le Tribunal fédéral a constaté que l’admission provisoire peut entraver l’intégration des jeunes personnes étrangères vivant en Suisse depuis plusieurs années. Seul·e·x·s les titulaires d’une autorisation d’établissement peuvent par exemple déposer une demande de naturalisation. Le Tribunal fédéral a également constaté qu’en comparaison avec les personnes titulaires d’une autorisation de séjour, les personnes admises provisoirement sont confrontées à davantage de difficultés pour voyager à l’étranger et trouver une place d’apprentissage. Le Tribunal fédéral a toutefois conclu dans l’arrêt du 7 février 2024 qu’au regard de l’âge des enfants (10 et 12 ans) et de toutes les circonstances, les inconvénients de l’admission provisoire n’étaient pas encore suffisamment graves pour justifier une atteinte à la vie privée.
De réels désavantages pour les personnes admises provisoirement
Selon la loi sur les étrangers et l’intégration (art. 84 al. 5 LEI), les demandes d’autorisation de séjour déposées par des personnes admises à titre provisoire et résidant en Suisse depuis plus de cinq ans doivent être examinées de manière approfondie. Le niveau d’intégration, la situation familiale et l’exigibilité d’un retour dans le pays de provenance doivent être pris en compte. Dans le cas présent, l’admission provisoire de la famille a été prononcée le 27 février 2015. Ainsi, la durée du séjour dépasse largement les cinq ans prévus. Le Tribunal fédéral estime qu’en raison de son âge, la jeune Syrienne subit plus fortement les désavantages liés au statut d’admis provisoire que des enfants plus jeunes. Plus la personne concernée se rapproche de la majorité, plus elle a intérêt à voir son droit de séjour en Suisse renforcé et à envisager une naturalisation, afin de pouvoir notamment participer à la vie civique du pays dans lequel elle a grandi. De même, les restrictions liées à la mobilité internationale pourraient être considérées comme une atteinte importante au droit au respect de la vie privée pour une adolescente de 15 ans, l’intéressée étant à un âge où elle peut en principe voyager seule et se rendre à l’étranger dans le cadre de sorties scolaires ou à des fins de formation.
Une pesée des intérêts en faveur de l’octroi d’une autorisation de séjour
Le niveau d’intégration et l’exigibilité d’un départ de la Suisse vers le pays d’origine doivent être examinés en vertu de l’article 84 al. 5 LEI. L’intérêt public de l’admission provisoire réside dans le fait que cette mesure se substitue, en principe pour une durée limitée, au renvoi lorsque celui-ci ne peut pas être exécuté. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a argumenté que le statut d’admis provisoire de la jeune Syrienne ne pouvait pas être levé dans un avenir prévisible et que son renvoi vers la Syrie ne pouvait pas être ordonné. Il est évident qu’elle poursuivra de toute façon sa formation et son parcours en Suisse.
Pour pouvoir prétendre à une autorisation de séjour sur la base du droit au respect de la vie privée et familiale, en vertu de l’art. 8 CEDH, un certain niveau d’intégration doit être atteint. Dans le cas présent, la jeune Syrienne de 15 ans dispose d’excellentes connaissances en français, est très bien intégrée et fournit d’excellents résultats scolaires compte tenu des circonstances. Selon le Tribunal fédéral, elle a fait tous les efforts que l’on pouvait attendre d’elle compte tenu de son âge et de sa situation pour s’intégrer en Suisse.
Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’intérêt privé de la jeune Syrienne à être mise au bénéfice d’une autorisation de séjour l’emporte sur l’intérêt public au maintien de l’admission provisoire. Le Tribunal fédéral conclut ainsi que les autorités cantonales ont refusé à tort de délivrer l’autorisation de séjour et admet le recours de la jeune fille de 15 ans. L’arrêt du Tribunal cantonal a été annulé et les autorités cantonales ont reçu l’ordre de délivrer l’autorisation de séjour à la jeune Syrienne.