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Politique migratoire: graves inégalités de traitement d’un canton à l’autre

06.02.2012

Les immigrés ont intérêt à vivre dans le bon canton. Une étude commanditée par la Commission fédérale pour les questions de migration (CFQM) montre que leur traitement, et ainsi leur vie, varie considérablement d’un canton à l’autre. Si les conditions de bases préexistant dans chaque canton expliquent certaines disparités, d’autres ne trouvent aucune justification objective et sont problématiques en matière de droits humains. «Les inégalités de traitement sont frappantes, souligne la CFQM, dans les cas où une décision importante du canton peut avoir de graves incidences pour la personne concernée, notamment en matière de regroupement familial, de naturalisation ou de reconnaissance d’un cas de rigueur.»  Pour la Commission, le rapport montre un urgent besoin d’harmonisation des pratiques sur les points les plus graves. Elle compte se servir des résultats de cette étude lors de la consultation sur la prochaine révision de la Loi sur les étrangers (LEtr).

Concentrée surtout sur la LEtr et de la Loi sur la naturalisation (LN), l’étude a été menée par le Service de recherche sotomo à Zurich et le Forum suisse pour l'étude des migrations et de la population (SFM) de l’Université de Neuchâtel. Ce dernier est par ailleurs à la tête du pôle «migration» du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH). 

Graves inégalités de traitement

Le rapport souligne que les disparités cantonales sont particulièrement problématiques en ce qui concerne la naturalisation, le regroupement familial et les cas de rigueur. Ce dernier point a été largement discuté en 2011. Après qu’un rapport de l’Observatoire du droit d’asile et des étrangers (ODAE) avait montré l’incompatibilité de la pratique suisse en matière de cas de rigueur avec les droits de l’enfant, quatre objets parlementaires avaient été déposés en ce sens. Certains parmi ces quatre soulignent également le problème de l’inégalité de traitement d’un canton à l’autre. En ce qui concerne humanrights.ch, cela fait depuis 2008 que nous évoquons le problème des inégalités cantonales en matière de cas de rigueur (voir article en lien interne).

Mais d’autres points ne bénéficient pas toujours d’un écho aussi large. L’étude souligne ainsi que seuls quinze cantons sur 26 admettent un droit au regroupement familial jusqu’à ce que les enfants aient atteint l’âge de 18 ans. Pour sept cantons, un enfant n’a généralement plus besoin de ses parents à partir de douze ans et c’est l’âge auquel ils fixent la limite du droit au regroupement familial. Alors que la LEtr fixe un délai plus court pour les demandes de regroupement familial concernant les enfants de plus de 12 ans (art. 47 LEtr), elle ne stipule pas que le droit au regroupement familial s'arrête à cet âge. Cette pratique cantonale va à l’encontre des exigences de la Convention des droits de l’enfant (CDE) en matière de regroupement familial (art. 10). Bien que la Convention soit entrée en vigueur en Suisse en 1997, l’article 10 n’est  pas contraignant pour la Suisse, puisque la Confédération a émis une réserve le concernant.

Enfin, le rapport souligne une grande disparité dans les exigences liées à la naturalisation, aussi bien concernant le niveau de langue demandé que la situation économique des étrangers désirant se faire naturaliser.

Conventions d’intégration

Autre point de grave inégalité: les Conventions d’intégration. Selon le droit, seule la fréquentation d’un cours de langue et d’intégration peut être prévue par les conventions d’intégration. Le rapport neuchâtelois souligne cependant que les Conventions pratiquées dans les cantons du nord-ouest de la Suisse contiennent d’autres mesures. Ainsi dans le canton de Bâle-Ville par exemple, les conventions d’intégration combinent des cours de langue et d’intégration avec d’autres mesures, par exemple la visite d’un service de conseil sur l’endettement, un cours sur des mesures d’intégration au travail ou l’obligation de chercher du travail. Cela pour augmenter la «pression» sur les personnes arrivées depuis longtemps et présentant des déficits d’intégration. «Au cours de l’enquête, écrivent les rédacteurs du rapport, nous n’avons pas pu déterminer sur quelle base juridique cette pratique repose.»

Non seulement ces conventions sont utilisées différemment d’un canton à l’autre en Suisse alémanique, mais elles ne sont de plus appliquées que là-bas et n’existent tout simplement pas dans le paysage romand. Attaquées par l’ECRI (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance) en 2009 déjà, ces Conventions d’intégration avaient également fait l’objet de critiques de la part de la Commission fédéral des étrangers de l'époque. Elle s’était alors déclarée «sceptique sur la mise en œuvre et l'efficacité de cet instrument» et craignait que les conventions puissent avoir un effet discriminant et arbitraire et ne deviennent un empêchement au regroupement familial.

Harmonisation par le bas ?

Comme le souligne un article du Centre de compétence suisse pour les droits humains, l’on parle pourtant aujourd’hui d’inscrire ces Conventions comme obligation pour tous les cantons. Ainsi, la révision partielle de la LEtr prévoit que «les cantons doivent à l'avenir conclure des conventions d’intégration avec les personnes qui présentent un risque de dépendance à l’aide sociale ou de poursuites pénales. L’admission provisoire et la conversion d’une autorisation F en B peuvent être liées à une convention d’intégration». Le projet de révision partielle de la LEtr est en consultation jusqu'au 23 mars 2012.

Alors que la question de l’harmonisation se pose toujours plus, l’impression est ici celle d’un nivellement des droits par le bas. Comme l’a souligné pour Le Courrier Nicole Wichman, cheffe de projet au Forum suisse pour l’étude des migrations et co-auteur du rapport, «une harmonisation des règles sonne bien dans le principe. Mais si elle se base sur le dénominateur le plus restrictif, ce n’est pas forcément une bonne idée». Reste que les cantons doivent encore faire un effort de transparence et veiller à ce que leur marge de manœuvre ne soit pas l’occasion de violation des traités ratifiés par la Suisse. En dernier recours, ce sont le Tribunal fédéral puis la Cour européenne des droits de l’homme qui devront mettre les limites.

Sources