01.03.2013
Dans l'ATF 139 I 16, le Tribunal fédéral a annulé une décision de renvoi prononcée à l’encontre d’un ressortissant macédonien établi en Suisse. Les juges ont estimé que cette sentence prononcée par le Tribunal administratif de Thurgovie était disproportionnée. Le plaignant avait été condamné à une peine de 18 mois de prison avec sursis, pour une infraction à la Loi sur les stupéfiants.
Une décision d’expulsion disproportionnée
Sur la base de sa propre jurisprudence et suivant la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’article 8 CEDH, le Tribunal fédéral a conclu que le retrait de l’autorisation d’établissement était, dans le cas présent, disproportionné (point D.3. du jugement). La cour reconnaît, certes, que le plaignant a été condamné à une peine de prison avec sursis pour une infraction à la loi sur les stupéfiants. Elle sait qu’il a agi comme trafiquant de drogue, sans s’être trouvé dans le besoin ou avoir été lui-même dépendant de ses substances.
En faveur du jeune macédonien, les juges retiennent le fait qu’il vit depuis ses 7 ans en Suisse. Il a toujours été scolarisé dans le pays et il y a effectué son apprentissage de peintre. En outre, la condamnation a été prononcée trois ans et demi après les faits et le jeune homme n’a commis aucun autre acte criminel, ni avant, ni après. Il est socialisé ici, en Suisse, et intégré, a expliqué le TF. En Macédoine par contre, il ne dispose d’aucun membre de sa famille encore présent, car pratiquement tous ses proches vivent en Suisse aujourd’hui. Enfin, il ne parle albanais que de manière lacunaire.
Le TF a ajouté qu’il ne pourrait exclure une expulsion future si le plaignant utilisait mal la deuxième chance qui lui avait été accordée.
L’article de la Constitution sur les renvois ne peut être directement appliqué
Le Tribunal fédéral a examiné, dans un deuxième temps, l’application de l’article 121 al. 3-6 de la Constitution. Selon cet article, les étrangers sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse, s’ils ont été condamnés pour trafic de drogue (121, al. 3 Cst.). Le Tribunal fédéral a conclu que ces dispositions, entrées dans la Constitution en 2010 après l’initiative sur les renvois, n’étaient pas directement applicables. Pour les juges de Lausanne, ces dispositions sont trop «indéterminées» et se trouvent en contradiction avec le droit constitutionnel – en particulier avec «le régime constitutionnel suisse marqué par les principes de l’activité de l’État régi par le droit (Art. 5: Le droit comme base de l’activité de l’État, la proportionnalité, la bonne foi, le respect du droit international) – . Cet article s’oppose aussi à une longue liste de dispositions du droit international, stipulées dans la CEDH, dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, ainsi que dans l’accord sur la libre circulation des personnes, ou encore dans la Convention des droits de l’enfant. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral appelle le législateur à opérer, au niveau législatif, un rééquilibrage entre les différentes valeurs du droit constitutionnel en jeu; car le TF, dans le cas d’un conflit de normes insurmontable, est «tenu d’appliquer les lois fédérales ET le droit international» (Art. 190 Cst.)
Un signal clair en faveur du respect des droits humains, aussi pour les personnes étrangères
Dans ses considérants, le TF conclut qu’une application directe de l’art. 121 al. 3-6 Cst. ne pourrait donner aucun résultat, puisque la Suisse est dans l’impossibilité d’invoquer le droit intérieur pour justifier la non-application des traités internationaux. Il s’agirait d’une entorse non seulement à l’article 5 al. 4 Cst. mais aussi à l’art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Pour les juges de Mon-Repos, cette situation découle de la nature de la CEDH et de la procédure de plainte individuelle reconnue par la Suisse, qui la contraint à empêcher tous les cas de violation des droits humains. Le TF cherche à prendre en compte ce que les constituants expriment, tant que cela ne se trouve pas en contradiction avec le droit supérieur. Dans ce cas concret, cela signifie que le TF tient compte de la sanction prononcée, mais aussi des circonstances (point 5 du jugement).
L’UDC menace de rompre la Convention européenne des droits de l‘homme
Les commentateurs et commentatrices ont salué un jugement «minutieux» et «mesuré». Cette décision n’instaure aucune nouvelle pratique, mais poursuit le débat juridique — débuté il y a plusieurs années maintenant — sur la relation entre droit international et droit fédéral. Les analystes indiquent que, dans ce jugement non plus, cette relation n’a pas été définie de manière définitive. Selon la cour, la volonté de ceux dont l’initiative a été couronnée de succès ne peut pas, seule, faire autorité pour appliquer le droit. Le TF souligne aussi que, lors d’une initiative, c’est une question isolée qui fait l’objet d’une discussion et d’une votation et non pas l’entier du droit constitutionnel.
L’UDC, quant à elle, critique le jugement qu’elle trouve «choquant». Les politicien-ne-s estiment que la volonté du peuple a été bafouée et menacent – une fois de plus — de rompre la CEDH. La grande question est, encore et toujours, de savoir à quel point les droits fondamentaux et les droits humains peuvent être négociables.
Documentation
- ATF 139 I 16 du 12 octobre 2012
sur bger.ch - Mon Repos refuse d'appliquer telle quelle une initiative de l'UDC
Swissinfo, 12 octobre 2012 - L’UDC s’indigne d’un jugement du Tribunal
Le Temps, 12 février 2013