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Une première condamnation pour discrimination fondée sur l’orientation sexuelle par le Tribunal fédéral

10.10.2024

Le Tribunal fédéral considère qu'il est admissible de prendre en compte les commentaires publiés en réaction à l’entretien filmé afin d’établir la signification du message d’Alain Soral du point de vue d'un tiers moyen. Les juges tiennent également compte des innombrables condamnations d’Alain Soral en France qui montrent qu’il a déjà discriminé des personnes en raison de leur orientation sexuelle par le passé. Bien que ces antécédents ne justifient pas la culpabilité d’Alain Soral, ils confirment son caractère homophobe et ainsi sa motivation pour les propos tenus dans son entretien vidéo. Le Tribunal fédéral confirme qu’Alain Soral a agi de manière intentionnelle.

Dans son arrêt du 11 mars 2024, le Tribunal fédéral confirme le jugement prononcé à l’encontre d’Alain Soral et le condamne pour discrimination et incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle selon l’art. 261bis CP. En 2021, l’essayiste franco-suisse a réagi à un article critique à son égard rédigé par une journaliste romande dans une interview filmée. Dans cet entretien publié sur Internet, il niait le contenu de l’article, le qualifiait de mensonger et l’apparentait à de la «fake news». Il mettait en avant que l’article avait été rédigé par une journaliste et activiste queer, à laquelle il se retrouvait confronté. Il estimait être «un Suisse dans [son] pays, qui défend l'âme suisse et l'esprit suisse» face à un groupe «ultraminoritaire».

Dans la vidéo, il expliquait qu’à sa connaissance le mot «queer» signifie «désaxé» en anglais et a qualifié la journaliste de «grosse lesbienne militante» pour les migrant·e·x·s, alors qu’il se considérait lui plutôt comme un «combattant pour la paix, la fraternité et l'âme suisse». Alain Soral a également publié une photo de la journaliste.

Selon l’art. 261bis CP, est punissable quiconque incite publiquement à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur ethnie, de leur religion ou, depuis juillet 2020, de leur orientation sexuelle. La protection des individus contre la discrimination vise à protéger la dignité humaine, l'égalité entre les êtres humains et, indirectement, la paix publique (ATF 149 IV 170 consid. 1.1.1).

«Grosse lesbienne» est une expression discriminante

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral se penche sur la différenciation entre les notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre. En effet, l’art. 261bis CP se limite à la protection des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et ne tient pas compte des atteintes portées en raison de l’identité de genre. Le Tribunal fédéral précise à cet égard     qu’avec le terme «queer». Alain Soral désignait les personnes dont l’orientation sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants. Même si le mot «queer» inclut aussi l’identité de genre, Alain Soral visait l’orientation sexuelle de la journaliste avec son utilisation rabaissante de «queer» et de «lesbienne». Il a utilisé ces termes dans un contexte dévalorisant en les associant à «désaxé», «voilà face à quoi on est» en plus de qualifier la journaliste de «grosse lesbienne». Aussi, le public devait-il comprendre qu’aux yeux d’Alain Soral, la journaliste présente le défaut d’être homosexuelle.

Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation dénigrante des termes «queer» et «lesbienne» invitait les internautes à mépriser la journaliste en raison tout particulièrement de son orientation sexuelle. En ajoutant une photo de la journaliste à la vidéo, il est évident qu’il offrait aux internautes une figure concrète sur laquelle déverser leur haine. Le Tribunal fédéral n’a aucun doute sur le fait que par sa vidéo, Alain Soral souhaitait provoquer et alimenter un sentiment de haine en raison de l'orientation sexuelle.

Le Tribunal fédéral considère qu'il est admissible de prendre en compte les commentaires publiés en réaction à l’entretien filmé afin d’établir la signification du message d’Alain Soral du point de vue d'un tiers moyen. Les juges tiennent également compte des innombrables condamnations d’Alain Soral en France qui montrent qu’il a déjà discriminé des personnes en raison de leur orientation sexuelle par le passé. Bien que ces antécédents ne justifient pas la culpabilité d’Alain Soral, ils confirment son caractère homophobe et ainsi sa motivation pour les propos tenus dans son entretien vidéo. Le Tribunal fédéral confirme qu’Alain Soral a agi de manière intentionnelle.

Aucune atteinte à la liberté d’opinion

Alain Soral a invoqué une violation de sa liberté d’expression, notamment de la protection de s’exprimer dans le cadre du débat politique. La liberté d’opinion, inscrite dans la Constitution fédérale (art. 16, al. 1 et 2, Cst.), peut faire l’objet de restrictions à la condition que celles-ci soient fondées sur une base légale, qu’elles soient justifiées par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et qu’elles soient enfin proportionnées au but visé. Au niveau international, la liberté d'expression est garantie par l'art. 10 CEDH. L'exercice de cette liberté peut être soumis à des restrictions qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, en particulier pour le maintien de l'ordre public et la protection des droits d'autrui. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà souligné dans plusieurs arrêts l'importance de lutter contre la discrimination raciale.

Alain Soral s’est notamment prévalu de la liberté d’expression journalistique dans le contexte du débat politique. Le Tribunal fédéral s’est clairement exprimé sur le fait que l’entretien filmé n'était pas intervenu dans un quelconque contexte politique, puisqu'il s'agissait simplement d’une réponse à un article de journal le concernant. Par ailleurs, la vidéo a été publiée sur le site internet de son association et non dans un débat politique. Dans sa vidéo, Alain Soral se contentait de s'en prendre gratuitement à la personnalité d'une journaliste en raison de son orientation sexuelle; l’entretien filmé ne s’inscrit donc en aucun cas dans le contexte d’un débat politique dans lequel une critique plus large est autorisée.

Le Tribunal fédéral a estimé que la restriction apportée à la liberté d'expression reposait sur une base légale suffisante et poursuivait un but de protection de la réputation et des droits d'autrui. Elle demeure en outre proportionnée, la protection de la communauté homosexuelle l'emportant sur le droit à s'exprimer librement.

Une avancée importante pour la protection contre la discrimination malgré des lacunes persistantes

L'arrêt du Tribunal fédéral est le premier en matière de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Il montre que la haine envers la communauté LGBTQIA+ a des conséquences et qu’il constitue une avancée importante pour la protection juridique contre la discrimination en Suisse, bien qu’elle reste lacunaire et qu’il n’existe pratiquement aucune réglementation protégeant contre la discrimination entre particuliers. Bien que l’art. 261bis CP protège contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, le législateur a omis d'étendre la protection à la discrimination fondée sur l'identité de genre.