03.02.2025
Dans le cadre du Forum économique mondial (WEF) à Davos de 2023, l’organisation «Strike WEF» s’était vue refuser par les autorités cantonales l’accès à la route cantonale qu’elle avait prévu d’emprunter pour manifester. Le Tribunal fédéral a admis le recours de l’organisation, estimant que le déplacement de tout l'itinéraire constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion et de réunion.
En novembre 2022, l'organisation «Strike WEF» dépose une demande pour une «randonnée hivernale pour la justice climatique» («Winterwanderung für Klimagerechtigkeit») sur deux jours durant le Forum économique mondial 2023. Quatre jours avant la manifestation, les autorités grisonnes leur refusent l'accès à la route cantonale menant à Davos et invitent les participant·e·x·s à effectuer leur marche sur des routes secondaires et des chemins de randonnée. Dans son arrêt du 8 octobre 2024, le Tribunal fédéral admet les recours des organisateur·trice·x·s de la marche et rappelle que les droits fondamentaux prévoient, dans une mesure limitée, un droit d'utiliser le domaine public pour des manifestations visant à interpeler la population.
La protection du droit de manifester est toutefois encore loin d’être suffisante en Suisse, la pratique restant dissuasive dans de nombreux cantons.
Le Tribunal fédéral conteste l’interdiction d’un itinéraire
Le Tribunal fédéral admet le recours d’un organisateur de la manifestation contre l’interdiction prononcée par les autorités grisonnes. Le 10 novembre 2022, le requérant avait déposé une demande d'autorisation pour une marche le samedi 14 janvier 2023 sur la route cantonale de Küblis à Klosters Platz. Le nombre de participant·e·x·s attendu·e·x·s s'élevait à 300 personnes maximum. Le 10 janvier 2023, l'Office cantonal des ponts et chaussées refuse l'autorisation d'utiliser la route cantonale, et le Tribunal administratif du canton des Grisons rejette les recours déposés par l'organisateur contre cette décision.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral conclut que les autorités grisonnes n’auraient pas dû refuser l'utilisation de la route cantonale sur l’intégralité du tronçon. La Haute Cour considère que cet itinéraire aurait pu être autorisé sur certains tronçons et sous certaines conditions, le déplacement de tout l'itinéraire hors de la route cantonale constituant une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion et de réunion. Ces droits fondamentaux confèrent, dans une mesure limitée, un droit d'utiliser le domaine public pour des manifestations prévoyant un effet d'appel au public.
La Haute Cour rappelle que lors de l’édition 2020 du WEF, une marche de manifestation le long de la route cantonale avait été autorisée par l'Office des ponts et chaussées et avait eu lieu sans difficulté. Ainsi, les juges estiment que rien ne montre que des problèmes seraient survenus et auraient justifié le refus d'une autorisation similaire, les dangers d'ordre général pour la sécurité routière ne s'opposant pas à l'utilisation de la route cantonale. Le Tribunal fédéral considère qu’il aurait été possible d'ordonner une mesure moins incisive, en autorisant par exemple l'utilisation, sur certains tronçons, d'une seule voie de la route cantonale.
Les juges de Monrepos concluent également que le droit de l'organisateur à ce que sa demande soit examinée dans un délai raisonnable a été violé. Les autorités cantonales avaient en effet déjà décidé le 16 décembre 2022 que l'itinéraire choisi ne serait pas autorisé; aussi une décision aurait-elle dû être rendue en 2022, malgré les fêtes de fin d'année.
Une autre position sur le blocage d’une rue
Si dans ce cas, le Tribunal fédéral défend un des aspects du droit de manifester, il a été beaucoup plus restrictif dans son arrêt du 16 janvier 2024 relatif à une affaire concernant le blocage d’une rue par des activistes du climat à Lausanne. En décembre 2019, des manifestant·e·x·s s’étaient réuni·e·x·s sur la rue Centrale à Lausanne sans demander d’autorisation préalable, mais après avoir annoncé leur action aux Transports publics lausannois et transmis leurs revendications aux autorités, bloquant le trafic par leur présence. Après plusieurs sommations de quitter les lieux, la police avait procédé à leur évacuation et des participant·e·x·s avaient été condamné·e·x·s pour violation des règles de la circulation routière et contravention à l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour les manifestations publiques.
Le Tribunal fédéral a considéré que la condamnation des recourant·e·x·s pour violation de la loi sur la circulation routière (LCR) notamment n’enfreint pas la liberté de réunion et d’association (art. 11 al. 2 CEDH), jugeant que la perturbation engendrée par leur action était trop grande. La Cour a relevé que la liberté de participer à une réunion pacifique revêt une importante telle qu’une personne ne peut en principe faire l’objet d’une sanction, mais rappelle qu’elle doit être limitée si la sécurité est en jeu ou si la perturbation engendrée est trop forte. Les juges avaient toutefois conclu que seul·e·x·s les organisateur·trice·x·s d’une manifestation pouvaient être condamné·e·x·s pour une contravention à l’obligation de demander une autorisation préalable, et rappelé que la possibilité pour les participant·e·x·s d’exprimer leurs opinions devait être prise en compte.
Le droit de manifester sous pression
Dans le cadre de sa campagne «Protect the protest», Amnesty International rappelle que «manifester pacifiquement est un droit fondamental, même sans autorisation délivrée par les autorités et que la désobéissance civile non violente est une forme d’expression protégée par le droit international.» Un rapport réalisé par l’organisation de défense des droits humains dénonce le fait que la quasi-totalité des cantons restreint et donc dissuade l’exercice du droit de manifester en instaurant un régime d’autorisation, qui entre en contradiction avec les obligations internationales de la Suisse en matière de liberté de réunion. Dans une prise de position, Amnesty Suisse rappelle que l’État doit prendre en charge les frais de police relatifs au maintien de l’ordre ou à la facilitation de manifestations pacifiques, y compris lorsque cela implique de gérer la circulation, conformément à son obligation de contribuer à la réalisation du droit de manifester.
Les organisateur·trice·x·s de manifestations font face à des obstacles particulièrement importants dans le canton de Fribourg. La police cantonale facture ses frais d’intervention - souvent disproportionnés - pour des manifestations à caractère politique pourtant sans débordement. Les organisateur·trice·x·s doivent par ailleurs s’acquitter d’émoluments administratifs découlant du processus d’autorisation de ces manifestations, et nettoyer le site après la manifestation, ou encore de souscrire à une assurance de responsabilité civile. Une coalition, créée début 2024 pour dénoncer ce régime, a introduit un recours devant la justice contre la facturation de frais pour régulation de la circulation aux organisateur·trice·x·s dans le cadre d’une manifestation. Une motion déposée au Grand conseil demande de préciser l’article 42 de la loi sur la police (LPol) afin que les manifestations à caractère politique demeurent sous le régime ordinaire.
Dans son rapport 2024, la Coordination genevoise pour le droit de manifester dénonce le régime d’autorisation du canton de Genève, les restrictions grandissantes des parcours des manifestations, le processus pour obtenir les autorisations ainsi que les intimidations telles que les amendes, parfois délivrées aux participant·e·x·s lors de manifestations, au motif de refus d’obtempérer, trouble à l’ordre public ou encore infraction à la loi sur la circulation.