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La santé au sein du système pénitentiaire – entre assistance et répression 

14.08.2024

Selon le rapport de situation publié annuellement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes placées en détention souffrent de manière disproportionnée de problèmes de santé complexes, tels que des addictions ou des maladies infectieuses, telles que l’hépatite A, B et C, le VIH ou la tuberculose. Au Royaume-Uni, les personnes incarcérées sont en moyenne trois fois plus susceptibles de consulter des professionnel·le·x·s de la santé que le reste de la population; en Belgique, ce chiffre se monte même à 3,8 fois plus. Selon une étude menée en 2007 dans la prison genevoise de Champ-Dollon, la situation en Suisse est similaire.

En Suisse, malgré ces besoins médicaux accrus, les soins dits «intra-muros» ne sont pas suffisamment réglementés par la loi. Si les directives internationales servent souvent de base légale, les réglementations à l’échelle cantonale varient fortement. Selon le principe d’équivalence, l’un des plus importants principes protégés par les droits humains, les soins de santé prodigués aux personnes incarcérées doivent être équivalents à ceux de l’ensemble de la population en termes de qualité et d'étendue à ceux dont bénéficie la population générale. Les soins médicaux intra-muros doivent donc se conformer à cette norme. Aussi évident que ce principe puisse paraître à première vue, de nombreux défis se posent lorsqu’il est mis en pratique.

Pour garantir l’équivalence des soins, il faut avant tout lever les obstacles qui empêchent les personnes placées en détention d’accéder à l’aide médicale nécessaire. La confiance dans les médecins traitant·e·x·s ainsi que dans leur indépendance jouent un rôle décisif à cet égard. Afin de les garantir, le principe d’équivalence requiert une séparation sur les plans organisationnel et hiérarchique entre le personnel médical et l’administration responsable de l’exécution de la peine. Ainsi, à l’échelle de l’établissement, le service médical doit être clairement séparé de la direction. Cette condition est également appuyée par les directives de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et par le rapport de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT).

Malgré des recommandations précises et obligations en matière de droits humains, cette exigence n’est pas mise en pratique dans la plupart des cantons du pays. En Suisse alémanique principalement, les services médicaux dépendent souvent directement de la direction de la prison. Cette réalité est problématique dans la perspective des droits humains, car les décisions médicales pourraient être influencées par les intérêts de la direction de l’établissement carcéral.

La participation aux frais médicaux est un autre défi du système pénitentiaire. En raison de la très faible rémunération du travail obligatoire en détention notamment, de nombreux·euse·x·s détenu·e·x·s se trouvent dans une situation financière très précaire. Les traitements médicaux urgents, auxquels l’accès est restreint par les franchises et par le niveau élevé des primes d’assurance maladie, ne sont souvent pas pris en charge - ou le sont trop tard. Le projet de révision de la LAMal, qui prévoit d’étendre l’obligation de s’affilier à une caisse maladie à toutes les personnes détenues, ne permet pas non plus de résoudre ce problème; il prévoit en effet que la personne incarcérée finance les primes d’assurance-maladie et la participation aux coûts «pour autant que l’on puisse raisonnablement l’exiger d’elle» (p. 10 du rapport), ces éléments étant considérés comme des dépenses personnelles qui doivent être payées par le travail des personnes détenues. Si cette participation n’est pas possible, une réduction des primes peut être demandée au canton, dont le montant est toutefois laissé à son appréciation. Étant donné que le salaire des personnes détenues se situe entre 25 et 28 francs par jour, cette réglementation ne permettra pas de surmonter la barrière des coûts, qui reste une problématique fondamentale.

Bien que les personnes placées en détention souffrent de manière supérieure à la moyenne de problèmes de santé, tels que des addictions ou des maladies infectieuses et ont des besoins médicaux accrus, les lacunes en matière de réglementation des soins au sein du système pénitentiaire suisse. Si les soins doivent être délivrés de manière égalitaire selon le principe d’équivalence pour l’ensemble de la population, l’indépendance des services médicaux, qui dépendent souvent de la direction des établissements pénitentiaires, est rarement garantie en Suisse. De plus, le faible niveau des salaires et la participation élevée aux coûts compliquent l’accès aux traitements pourtant nécessaires. Afin de respecter les droits à la santé des détenu·e·x·s et de garantir des conditions de détention dignes, la Suisse doit donc réformer considérablement le système de santé en milieu carcéral.