11.09.2023
Depuis quelques années, les signalements de cas d’incidents racistes dans le domaine de l’éducation se multiplient. Il n’existe cependant pas encore d’étude fondée sur des données relatives au racisme en Suisse, ni de collecte systématique d’expériences vécues par des personnes concernées. Cet article vise à définir une culture scolaire critique à l'égard du racisme ainsi que les exigences à remplir pour rendre l’accès au système éducatif plus équitable en Suisse.
Différentes formes de racisme se manifestent dans le domaine scolaire: tant le racisme interpersonnel que la discrimination raciale au niveau institutionnel et structurel. Celle-ci, davantage subtile, est plus difficile à détecter: c’est souvent lorsque les signalements s’accumulent que la systématique qui la sous-tend se donne à voir.
Les modes de pensée racistes se transmettent aussi à l’école
La transmission de modes de pensée racistes à l'école s'exprime de différentes manières: le manque de modèles pour les enfants racisé·e·x·s, tant dans les livres de la bibliothèque scolaire que dans le matériel pédagogique utilisé. De plus, les outils didactiques comportent encore souvent des stéréotypes racistes. L’enseignement continue donc de véhiculer des présupposés racistes sans être remis en question, avec pour conséquence une dévalorisation de certains enfants par rapport à d’autres et le renforcement des inégalités sociales. Les enseignant·e·x·s ayant conscience du problème sont livré·e·x·s à eux/elles-mêmes, et consacrent du temps à créer leur propre matériel didactique et à réfléchir à la manière d’aborder le sujet en classe.
La participation et l’accès pour tou·te·x·s ne sont pas suffisamment garantis dans le domaine de l’éducation en Suisse
La procédure de sélection constitue également une problématique: le Plan d’études romand et son pendant en Suisse alémanique le Lehrplan 21 précisent que l’école doit viser l’égalité des chances, valeur fondamentale, et que tou·te·x·s les enfants et adolescent·e·x·s doivent pouvoir développer leur potentiel au maximum. Comme le montrent plusieurs études, les objectifs d’égalité des chances et de non-discrimination n’ont pas été atteints dans tous les systèmes scolaires de Suisse, pour deux raisons. Premièrement, la sélection des enfants intervient très tôt, à 12 ans déjà. Deuxièmement, elle ne se fonde pas exclusivement sur le potentiel et les compétences de l’enfant, mais dépend dans une mesure importante de l’opinion des enseignant·e·x·s sur les possibilités de l’enfant, compte tenu de sa situation familiale. Ce biais renforce les inégalités et favorise les enfants perçu·e·x·s comme étant d’origine suisse ou d’Europe occidentale.
Établir une culture scolaire antiraciste critique
Pour que les écoles dispensent une éducation antiraciste, il faut d’une part que le personnel scolaire soit disposé à agir contre le racisme et d’autre part que le système scolaire soit transformé en profondeur.
Aborder activement la question du racisme est la première condition pour y parvenir. Cela peut sembler plus banal que ça ne l’est en réalité; en effet, tant pour les enfants et les enseignant·e·x·s concerné·e·x·s que pour celles/ceux qui ne le sont pas, le simple fait d’en parler rend visible l’injustice d’une telle discrimination, ce qui soulage les personnes concernées et donne à chacun·e·x la force de lutter contre le racisme. Il est par ailleurs utile que les écoles se dotent d’une charte contraignante qui précise les modalités d’intervention en cas d’incident raciste, que ce soit en salle de classe, dans la cour de récréation ou dans les salles dédiées au personnel. Un tel document est garant de sécurité, aussi bien pour les personnes directement confrontées au racisme que pour les autres, car chacun·e·x sait quand et de quelle manière intervenir. A l’instar d’une urgence médicale, ce processus nécessite une formation spécifique.
Quelles sont les conditions d’un accès plus équitable au système éducatif suisse?
La thématique du racisme doit être intégrée dans les plans d’études. Si cette thématique est prioritaire, il est également nécessaire de l’inclure dans la formation initiale et continue des enseignant·e·x·s et de développer des supports pédagogiques ad hoc. Des offres de formation régulières sont par ailleurs nécessaires pour que les enseignant·e·x·s puissent se familiariser avec le sujet, réfléchir à leurs propres connaissances en la matière et surmonter le mutisme et l’inaction. Ainsi, les enfants et les jeunes pourront profiter d’un environnement d’apprentissage placé sous le signe de l’égalité des chances qui les protégera concrètement de la discrimination - car c’est bien là le but, inscrit noir sur blanc aux articles 2 (égalité des chances) et 8 (non-discrimination) de notre Constitution.
Résumé de l'article invité dans le Rapport sur le racisme 2022 de Rahel El-Maawi, enseignante en culture sociale et formatrice en justice sociale. Elle est co-autrice du livre «No to Racism – Grundlagen einer rassismuskritischen Schulkultur» (Non au racisme – Les bases d’une culture scolaire critique à l’égard du racisme), hep Verlag, 2022.