07.04.2025
Le Protocole d’Istanbul (PI) de l’ONU, reconnu par la Suisse et aussi nommé «Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants», est un instrument important pour déterminer le statut de victime dans la procédure d’asile. La mise en œuvre du PI est toutefois difficile en raison de sa complexité et de son manque de reconnaissance. La présence d’infirmier·ère·x·s médico-légal·e·x·s dans les centres fédéraux d’asile pourrait contribuer à la fois à la mise en œuvre du PI et à une meilleure protection des droits des personnes en fuite.
Commentaire invité de Claudia Weidenhoffer, experte en soins intensifs EPD/ CAS Forensic Nursing UZH

Peuvent demander l’asile en Suisse les personnes qui sont exposées à de graves conséquences dans leur pays d’origine en raison de leur ethnie, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social déterminé. Le constat selon lequel la personne requérante a subi de sérieux préjudices (au sens de l’art. 3 LAsi), tels que la torture ou la violence sexuelle, joue un rôle décisif dans la procédure d’asile: il détermine le statut de protection de la personne requérante et, par conséquent, l’issue de la procédure. Les personnes en fuite, en particulier celles qui viennent de zones de conflit, ne sont pas seulement victimes d’abus, de torture ou de persécution dans leur pays d’origine, mais elles peuvent aussi rencontrer ces violences pendant leur exil.
Apporter des preuves pour exposer ces expériences traumatisantes reste difficile, car les conséquences psychologiques et physiques ne se manifestent souvent qu’ultérieurement, ou peinent à être qualifiées comme telles par les victimes. L’identification des victimes de torture en particulier pose de nombreux défis qui peuvent revêtir une influence considérable sur les procédures d’asile et les éventuelles procédures de recours.
Le Protocole d’Istanbul: une mise en œuvre exigeante
Les victimes de torture subissent des souffrances physiques et psychologiques extrêmement lourdes à porter, autant pour elles que pour les professionnel·le·x·s qui les suivent. C’est pour répondre à ce défi énorme que le Protocole d’Istanbul (PI) a vu le jour. Ce manuel international permet d'enquêter efficacement et documenter les actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a été élaboré en 1999 par la Turkish Human Rights Foundation et Physicians for Human Rights et a été adopté en 2000 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Mi-2023, la version révisée du PI a été mise en œuvre.
Le PI énonce des directives internationales et définit des méthodes d’enquête ainsi que des exemples de référence. Les principes qu’il contient n’ont pas de valeur prescriptive, mais servent de base pour formuler des recommandations détaillées ainsi que des conseils pratiques en vue de leur application. Si les États souhaitent affirmer qu’ils procèdent à un examen cohérent des allégations de torture, ils doivent toutefois se conformer à ces directives. Ce guide n’a malheureusement pas encore rencontré à ce jour la reconnaissance et l’attention qu'il mérite. Tant en Allemagne, en Autriche qu’en Suisse, il n’est pas encore suffisamment pris en considération par le monde médical et juridique.
Les soupçons de torture peuvent être examinés par des médecins, des avocat·e·x·s, des psychologues, des observateur·trice·x·s des droits humains ou des membres d’une autre profession. Une personne fournissant un conseil juridique impartial et professionnel doit faire partie de la commission d’enquête, qui devait également faire appel à des spécialistes tel·le·x·s que des pathologistes, des médecins légistes, des psychiatres, des psychologues, des gynécologues et des pédiatres pour contribuer à l’expertise. Il reste essentiel de respecter les normes éthiques et d’obtenir un consentement éclairé («informed consent») avant chaque examen.
Dans le cadre de mon CAS Forensic Nurse à l’Institut de médecine légale à Zurich et de mon travail sur la pertinence de la présence d’un·e·x infirmi·er·ère·x médico-légal·e·x dans un centre fédéral d’asile, j’ai interviewé des spécialistes de la médecine et du droit sur l’utilisation et la mise en œuvre du Protocole d’Istanbul (PI) dans le contexte des personnes en fuite en Suisse. Tou·te·x·s les expert·e·x·s ont exprimé les mêmes difficultés: dans l’ensemble, l’un des plus grands défis dans l’application du PI est certainement son manque de reconnaissance. Il reste en effet encore peu connu, et aucune formation destinée aux professionnel·le·x·s de la santé et du droit n'est prévue. Par ailleurs, étant donné sa complexité et les ressources importantes qu’il requiert, ce faible soutien institutionnel et politique n’aide pas les professionnel·le·x·s à y recourir.
Une solution possible: la présence d’infirmi·er·ère·x·s médico-légal·e·x·s dans les centres fédéraux d’asile
Un·e·x infirmi·er·ère·x médico-légal·e·x («forensic nurse») ne fournit pas seulement les soins médicaux nécessaires; cette personne dispose également de la formation et de l’expertise nécessaires pour reconnaître et documenter les signes de violence physique et sexuelle, ainsi que pour identifier rapidement les troubles psychologiques tels que le stress post-traumatique, l’anxiété et la dépression.
Les expert·e·x·s que j’ai interrogé·e·x·s dans le cadre de mon travail sont sceptiques quant au fait que la présence d’un·e·x infirmi·er·ère·x médico-légal·e·x permettrait d’appliquer de manière conséquente le Protocole d’Istanbul pour l’examen de la torture dans les centres d’asile en raison de ses exigences explicites et de sa complexité. La mise en œuvre des prescriptions contenues dans ce manuel et son application systématique dans un centre défini sont généralement considérées comme disproportionnées en raison du manque de temps et de ressources financières.
Les expert·e·x·s s’accordent toutefois à dire que le relevé des traces de torture par un·e·x infirmi·er·ère·x médico-légal·e·x revêt en principe une grande importance pour l’exactitude et la fiabilité de l’évaluation du statut de la victime, notamment dans le cadre d’une expertise PI ultérieure. Un·e·x infirmi·er·ère·x médico-légal·e·x formé·e·x peut par ailleurs contribuer à renforcer la sécurité et à faire respecter les droits des personnes en fuite dans un centre d’asile. Ayant participé à la documentation des preuves, cette personne joue un rôle décisif dans la procédure d’asile.
Informations complémentaires
- Claudia Weidenhoffer (2024). Implementierung einer Forensic Nurse in einem Bundesasylzentrum, sinnvoll? Diplomarbeit im Rahmen des CAS Forensic Nurse am Rechtsmedizinischen Institut, Zürich.
- Istanbul-Protokoll | V&R eLibrary Frewer, Furtmayr, Krása, & Wenzler (2012).