30.05.2022
La loi suisse sur l’aide aux victimes n’intervient que si un délit a été commis en Suisse ou si les personnes concernées sont domiciliées en Suisse au moment des faits. Dans les cas de traite d’êtres humains, qui constitue souvent un délit transfrontalier, la situation qui en résulte est problématique, de nombreuses personnes concernées ne recevant ainsi aucun soutien en Suisse.
En Suisse, le soutien aux victimes de la traite des êtres humains est garanti par la loi sur l’aide aux victimes (LAVI). Conformément à celle-ci, les personnes ayant subi une atteinte à leur intégrité sexuelle, physique ou psychique ont droit à une aide financière de l’État si elles étaient domiciliées en Suisse au moment de l’infraction (art. 17 LAVI) ou si l’infraction a été commise en Suisse (art. 3 LAVI). Si l'absence de soutien aux victimes de la traite des êtres humains lorsque l’infraction a été commise à l’étranger a été identifiée comme problématique dans le Plan d’action national (PAN) contre la traite des êtres humains 2017-2020, la mise en œuvre des solutions proposées reste au point mort. Selon Géraldine Merz, du FIZ, le Centre d’assistance aux migrantes et aux victimes de la traite des femmes, il existe toujours en Suisse une «aide aux victimes à deux vitesses»: alors que les victimes de la traite des êtres humains pour lesquelles l’infraction s’est déroulée en Suisse perçoivent des prestations de soutien, les personnes pour lesquelles l’infraction a eu lieu à l’étranger ne bénéficient légalement d’aucune aide.
Le Centre d’assistance aux migrantes et aux victimes de la traite des femmes gère, sur la base de dons, un service de consultation ambulatoire pour les victimes ayant subi la traite à l’étranger. Géraldine Merz relève que «jusqu’à récemment, il n’y avait aucune chance d’obtenir un quelconque financement dans de tels cas. Et ce bien que nous recevions de plus en plus de personnes, notamment dans le domaine de l’asile, pour lesquelles c’est précisément cette constellation qui prévaut; ces trois dernières années, elle concernait plus de 90 personnes chaque année.»
Dans la procédure d’asile, en cas de suspicion de traite d’êtres humains, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) procède à une audition approfondie sans pour autant que la personne concernée n’ait au préalable pu avoir accès à un centre de conseil spécialisé pour les victimes. Géraldine Merz critique le fait qu’en pratique, cela signifie qu’une personne fortement traumatisée ne peut être stabilisée avant d’être interrogée par le SEM sur les faits relatifs à la traite. Le risque de retraumatisation est donc élevé.
Conformément à la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains ratifiée par la Suisse, les personnes concernées bénéficient d’un délai de rétablissement et de réflexion de trente jours (art. 13). Si la personne est prête à témoigner, un court séjour de trois à six mois lui est accordé. Pendant cette période, les personnes vivent dans des centres d’accueil et peuvent se rétablir. Ces conditions ne s’appliquent toutefois pas aux personnes qui ont été victimes de la traite des êtres humains à l’étranger. Ainsi, dans ces circonstances, les prestations d’assistance prévues par la Convention du Conseil de l’Europe - hébergement spécialisé, accès à des conseils et à des traductions, assistance dans la procédure pénale et aide d’urgence matérielle, médicale et psychologique - leur sont refusées.
Cette pratique est en contradiction avec les obligations de la Suisse en matière de droits humains. En tant qu’État partie à la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, la Suisse est tenue de mettre ses services d’assistance, médicale ou autre, à la disposition de toutes les personnes victimes qui résident légalement sur son territoire (art. 12 al. 3 Convention sur la lutte contre la traite d’êtres humains). Dans son arrêt J. et autres c. Autriche, la Cour européenne des droits de l’homme affirme elle aussi explicitement que l’accès à la protection des victimes de la traite des êtres humains doit être garanti lorsque l’infraction a eu lieu à l’étranger. Dans ce contexte, la Suisse enfreint en outre la Convention d’Istanbul qu’elle a ratifiée (art. 20, 22 et 23), la Convention européenne des droits de l’homme (art. 1) et les recommandations du Protocole de Palerme (art. 6 al. 5). Elle a déjà été critiquée à plusieurs reprises pour sa pratique par le Groupe d’expert·e·s sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe (GRETA).
En refusant de protéger et de soutenir les victimes de la traite d’êtres humains parce qu’elles ont subi celle-ci à l’étranger, la Suisse viole ses obligations en matière de droits humains. Pour soutenir les personnes concernées, il est urgent de trouver une solution pragmatique et de renforcer le financement public des prestations d’aide aux victimes.