15.02.2024
Dans le documentaire "L'audition", quatre demandeur·euse·x·s d'asile débouté·e·x·s revivent leurs auditions portant sur leurs motifs de fuite, et mettent ainsi en lumière les rouages de la procédure d'asile. Cette plongée exclusive dans la délicate réalité des auditions remet en question la procédure d'asile en elle-même. Les personnes interrogées parviendront-elles à décrire leurs expériences traumatisantes de manière à satisfaire aux critères des autorités migratoires? Dans le cadre d'un partenariat pour la diffusion du film, humanrights.ch a approfondi ces questions avec l'un des protagonistes.
Entretien avec Pascal Onana*, originaire du Cameroun, qui a déposé une demande d'asile en avril 2018. Il lutte aujourd'hui encore pour obtenir un permis de résidence et avant tout pour une société plus juste et inclusive.
Monsieur Onana, merci avant tout d'avoir accepté de nous parler de votre audition. Comment en êtes-vous arrivé à participer à ce projet de film?
J'ai été contacté par Lisa Gerig, la réalisatrice du film, qui avait entendu parler de mon histoire et de mes projets en Suisse. Au départ, je n'avais pas l'intention de participer à ce projet, car je craignais qu'il ait un impact négatif sur ma procédure d'asile qui était alors en cours. Lorsque l'on parle de son parcours au sein de la procédure d'asile, les souvenirs et les traumatismes remontent à la surface. Je ne voulais pas revivre tout cela une nouvelle fois et encore moins à chaque fois que le film serait diffusé. J'ai donc pris un long temps de réflexion; j’ai repensé aux injustices qu'entraînent cette procédure et les auditions menées dans ce cadre, puis j'ai décidé de participer à ce projet. Je ne l'ai pas fait pour moi – cela est arrivé un peu trop tard dans mon cas; je souhaite que l'avenir apporte de véritables changements au sein de ces auditions et de la procédure d'asile.
Pouvez-vous nous donner une idée de ce que ressent une personne qui doit se rendre à une telle audition par le Secrétariat d'État aux migrations (SEM)?
On a l'impression d'être interrogé par des services secrets pour des délits que l'on aurait commis. On se sent pris au piège et acculé. Au début de l'audition, on nous dit qu'il ne faut pas avoir peur et que l'on peut faire confiance. Mais ensuite, on est confronté à des menaces à peine voilées si l'on n'est plus en mesure de faire confiance et de tout raconter. Pendant ces auditions, on se sent très seul, quasiment abandonné. On passe par tous les états, notamment la peur et la honte. Quand on est quasiment obligé de tout raconter dans les moindres détails, même les détails dont on ne se souvient pas ou ceux dont on ne peut parler, on ressort de l'audition complètement traumatisé. Dès le début, le principe est clair: on sait qui détient tous les droits et à qui incombent tous les devoirs. De l'aménagement de la salle au ton de la voix en passant par le déroulement des auditions, tout semble être fait pour démoraliser la personne interrogée. Mes trois auditions ont duré environ huit heures chacune. Je vous laisse imaginer la suite...
Quel a été pour vous le pire moment de l'audition?
L'audition a été effrayante dès le début, à commencer par le moment où les obligations de la personne interrogée sont énumérées. On vous présente vos droits en insistant clairement sur le fait qu’en faire usage peut avoir des conséquences sur la suite de la procédure. Le rapport de force établi dès le départ influence fortement le reste de l'audition.
Comment avez-vous vécu le fait de devoir revivre votre audition pour le film?
L'équipe a connaissance de mon traumatisme, nous en avons longuement parlé et avons tenté de fixer des limites. J'avais le droit de suspendre le tournage d'une scène ou de tout arrêter à tout moment. Quand j'ai pensé à ce projet de film et à ce qu'il pourrait apporter du point de vue éducatif et en termes de changements, j'ai décidé de vaincre mes peurs. Malgré tout, je ne souhaite pas revoir le film, peut-être une ou deux fois seulement, mais pas plus.
Les personnes qui se trouvent en procédure d'asile ont une bonne raison de quitter leur pays d'origine. Elles vivent souvent des évènements traumatisants avant et pendant leur fuite. Vous aussi, vous avez vécu des expériences très difficiles. En a-t-on tenu compte lors de votre audition?
Non, je n'ai personnellement pas eu cette impression, et c'est bien dommage. J'ai plutôt eu l'impression que le but était de me briser. Lorsque je me suis retrouvé en détresse pendant l'audition, on ne m’a montré aucun signe de compréhension – on m’a seulement accordé une pause. Mais peut-être que les personnes auxquelles je faisais face ne faisaient que respecter les instructions de travail.
Selon vous, comment une personne qui n'a pas grandi et n'a pas été socialisée dans votre pays peut déterminer, par une discussion, si vous dites la vérité ou non?
Je pense qu'il existe des techniques standardisées consistant à analyser des gestes ou des éléments linguistiques pour déterminer si une personne cache quelque chose. Une audition dans le cadre d'une procédure d'asile doit aller au-delà. Il faut tenir compte des attitudes qui peuvent varier selon la culture ainsi que les problématiques culturelles et politiques spécifiques, mais surtout être en mesure de les comprendre.
Comment pensez-vous que de telles auditions devraient se dérouler pour que les personnes interrogées se sentent prises au sérieux?
C'est une grande question, à laquelle il n'est pas facile de répondre en quelques lignes. En fait, tout doit être repensé et l'être humain doit être replacé au centre de la procédure. Il est tout à fait possible d’être humain et compatissant tout en obtenant des réponses – et peut-être même plus de réponses qu'à travers la menace. Qu'il n'y ait pas de malentendu: je dois dire qu'être humain et compatissant ne signifie pas être laxiste ou complaisant. Au-delà des entretiens, il existe de nombreux autres moyens pour vérifier des informations, et il n'est pas nécessaire de traumatiser les demandeur·euse·x·s d'asile pour les obtenir. La prise en charge des demandeur·euse·x·s d'asile traumatisé·e·x·s après l'audition doit également être assurée. On ne prend pas en compte le fait que l'audition fait revivre le cauchemar. Après les entretiens, on nous renvoie chez nous sans contrôler l'état dans lequel nous nous trouvons et ce qui peut se passer dans les minutes, les heures ou les jours qui suivent.
*nom modifié
- Au cinéma à partir du 25 janvier 2024
Avant-premières :
- Nyon, Capitole – Lundi 12 mars à 20h30
- Genève, Grütli – Mercredi 20 mars à 18h15
- Sainte-Croix – Samedi 23 mars à 17h30
- Lausanne, CityClub Pully – Mardi 26 mars à 20h
- Yverdon, Bel-Air – Mercredi 27 mars à 18h15
- Morges, Odéon – Mercredi 27 mars à 20h15