04.07.2024
Le 17 juillet 2023, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) modifie sa pratique afin de faciliter l’octroi du statut de réfugiées aux femmes afghanes, qui subissent les conséquences d’une législation discriminatoire et d’une persécution religieuse. Dans un arrêt du 27 mars 2024, le Tribunal administratif fédéral considère que cette nouvelle pratique n’est pas transférable aux visas humanitaires.
Une femme originaire d’Afghanistan dépose une demande de visa humanitaire à l’ambassade de Suisse au Pakistan pour elle-même, ses deux filles ainsi que son fils mineur, au motif que son veuvage la laisse à la merci des talibans. Après le rejet de sa demande par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), elle saisit d’un recours le Tribunal administratif fédéral. Celui-ci confirme la décision du SEM, estimant que l’intéressée n’a pas démontré de manière manifeste qu’elle faisait l’objet d’une mise en danger immédiate, sérieuse et concrète au sens de l’art. 4, al. 2 de l’ordonnance sur l’entrée et l’octroi de visas qui la touchait distinctement des autres filles et femmes vivant en Afghanistan. Les juges considèrent que l’absence d’un «chef de famille masculin» pour une femme en Afghanistan ne lui donne pas droit à un visa humanitaire.
Situation préoccupante en Afghanistan
Depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, la condition des femmes et des jeunes filles en particulier s’est considérablement dégradée. La charia devient la base légale, les exécutions ainsi que les châtiments corporels sont réintroduits et les femmes se voient privées de leurs droits fondamentaux et largement discriminées.
Le SEM modifie sa pratique
Le 17 juillet 2023, le SEM introduit une nouvelle pratique pour traiter les cas des femmes et les jeunes filles ayant fui l’Afghanistan: celles-ci peuvent désormais être considérées comme victimes d’une législation discriminatoire et de persécution pour des motifs religieux, ce qui renforce leurs chances de recevoir une décision d’asile positive. La dégradation des conditions de vie des femmes afghanes dans de nombreux domaines justifie cette modification par le SEM, qui suit ainsi une recommandation de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), selon laquelle les femmes et les jeunes filles vivant sous le régime taliban peuvent craindre de manière fondée être victimes de persécution et donc prétendre au statut de réfugiées.
Des exigences strictes pour les visas humanitaires
La pratique du visa humanitaire est introduite en Suisse en 2012, remplaçant la possibilité de déposer une demande d’asile auprès d’une ambassade. Régi par des conditions volontairement plus strictes que cette dernière, il vise le «maintien la tradition humanitaire suisse» et s’adresse aux personnes dont la vie ou l’intégrité physique sont directement, sérieusement et concrètement menacées dans leur pays d’origine.
Dans le cas d’espèce, le rejet du recours de la veuve afghane et de ses enfants par le Tribunal administratif fédéral s’explique par les exigences très élevées en matière de preuves qui s’appliquent dans ce type de cas. Alors qu’il suffit que la mise en danger soit rendue vraisemblable dans le cadre d’une procédure d’asile, elle doit être établie dans le cadre d’une demande de visa humanitaire. En se contentant de demander aux demandeur·euse·x·s d’asile de montrer que les menaces qui pèsent sur eux sont vraisemblables, le législateur reconnaît que leur situation est difficile et tient compte de la complexité de rassembler et de conserver des éléments de preuve alors qu’ils et elles sont en fuite. Dans un arrêt du 27 mars 2024, le Tribunal administratif fédéral a toutefois jugé l’affaire sans tenir compte du fait que la maison de la recourante avait été fouillée et incendiée par les talibans: faute d’élément de preuve corroborant les propos de l’intéressée, cet élément n’a pas été considéré comme établi. Dans le cadre d’une procédure d’asile, seule la vraisemblance des propos aurait été examinée.
Tant l’asile que le visa humanitaire visent à aider les personnes persécutées ou dont la vie ou l’intégrité physique sont menacées – pourtant, cette inégalité subsiste: les personnes vivant dans des régions en crise qui demandent de l’aide auprès d’une représentation suisse doivent satisfaire à des exigences nettement plus strictes que celles qui y déposent une demande d’asile alors qu’elle se trouvent déjà en Suisse.
Une jurisprudence pas uniforme
L’arrêt du 27 mars 2024 vient s’ajouter à la liste des décisions négatives du Tribunal administratif en matière d’octroi de visas humanitaires à des personnes venant d’Afghanistan.
Dans un arrêt du 8 septembre 2023, le Tribunal administratif fédéral a accordé un visa humanitaire à un ancien procureur afghan et à sa famille, ayant reconnu que le recourant, en sa qualité de procureur, présentait un profil de risque particulier. Cette décision a été saluée par des organisations de défense des personnes en fuite.
Dans un arrêt du 7 mars 2024, la demande de visa humanitaire d’une militante afghane pour les droits des femmes, autrefois directrice du département pour les questions féminines de son pays, a quant à elle été rejetée. Bien que le Tribunal administratif fédéral admette l’existence d’un profil de risque particulier, il considère que les preuves apportées sont insuffisantes.
La jurisprudence du Tribunal administratif fédéral est également hétérogène s’agissant des arrêts relatifs aux demandes d’asiles de personnes afghanes. Fin novembre 2023, les juges ont validé dans un arrêt a le changement de pratique du SEM: au vu de la détérioration continue de la situation des femmes et des jeunes filles en Afghanistan, les juges ont accordé le droit d’asile aux recourantes, deux sœurs afghanes. En avril 2024, un autre collège de juges du Tribunal administratif fédéral a toutefois considéré dans son arrêt que si de la nouvelle pratique du SEM était interprétée de telle manière que toutes les femmes afghanes en Suisse se verraient accorder l’asile, elle ne serait conforme ni à la pratique ni à la loi.