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Autisme féminin et endométriose: les diagnostics spécifiques aux femmes ne sont pas pris au sérieux par l’AI

17.04.2025

En 2024, la demande de N.O. auprès de l’assurance-invalidité (AI) est rejetée, malgré le fait que plusieurs rapports récents de spécialistes confirment son incapacité de travail. N.O. dépose alors un recours contre la décision de l’AI et en informe humanrights.ch. Elle souhaite en effet montrer que les femmes souffrant de pathologies spécifiques aux femmes, telles que l’endométriose et le trouble du spectre de l’autisme – qui s’exprime souvent différemment chez les femmes – ne sont pas prises au sérieux par l’AI.

N.O. vit depuis plusieurs années de l’aide sociale, malgré le fait qu’elle ait terminé une formation solide avec un niveau de formation supérieure et qu’elle ait travaillé pendant une longue période chez le même employeur. Un rapport médical datant du début de l’été 2024 atteste qu’elle souffre d’un trouble du spectre de l’autisme (Syndrome d’Asperger)*, de troubles dépressifs récurrents courts, d’endométriose** et du trouble dysphorique prémenstruel (TDPM)***. Actuellement, elle ne peut faire face au quotidien que grâce au soutien des membres de sa famille. En 2024, l’AI rejette la demande de N.O. est rejetée, bien que plusieurs rapports récents de professionnel·le·x·s de la santé, de la psychiatrie et de la psychothérapie confirment son incapacité de travail. N.O. dépose un recours contre la décision de l’AI.

Une histoire typique des femmes atteintes d’autisme

L’histoire de N.O. es typique de celle des femmes autistes dont le diagnostic est tardif: souvent, N.O. ne surmonte la semaine de travail qu’en faisant de nombreuses pauses et en se réfugiant fréquemment aux toilettes, car le lieu est plus calme et que lui permet d’échapper à la surcharge sensorielle. En dehors du travail, elle n’a aucun passe-temps, car elle doit se reposer, mais doit aussi à chaque fois fournir un effort supplémentaire sur son lieu de travail pour rattraper ses absences fréquentes pour cause de maladie. Un simple refroidissement prend pour elle des proportions énormes. Ses problèmes physiques liés à l’endométriose apparaissent dès la puberté. Elle rentre régulièrement plus tôt chez elle, ce qui est toléré par son employeur du fait de son efficacité au travail et accomplit souvent le reste de ses tâches ensuite, depuis la maison. La possibilité d’effectuer du télétravail représente un soulagement pour N.O., qui ressent cependant dans le même temps la pression de son supérieur qui, durant cette période antérieure à la pandémie de Covid-19, mise toujours sur la présence au bureau. Au bureau, elle prend toujours ses repas seule et porte des bouchons d’oreilles pour se protéger du bruit, ce qui entraîne des problèmes avec les client·e·x·s et les collaborateur·trice·x·s. De manière insidieuse et progressive, cette situation entraîne un surmenage physique et psychique pour N.O., qui est constamment en crise. Pendant ses crises autistiques qui surviennent fréquemment, elle est soutenue par des membres de sa famille, mais progressivement, elle se néglige en cessant de faire ses courses, le ménage et de payer ses factures. Son seul souhait serait de dormir pour être à nouveau en forme pour le travail. Ses épuisements chroniques s’accompagnent de plus en plus souvent d’épisodes dépressifs pouvant jusqu’à des états de dissociation et de dépersonnalisation totale, qui accentuent ses pensées suicidaires, auxquelles elle est confrontée de manière récurrente depuis l’âge de 16 ans.

N.O. décide de faire un séjour stationnaire dans une clinique pour femmes, mais doit la quitter en urgence peu de temps après, car elle est totalement épuisée et à la suite d’une nouvelle crise, le personnel ne veut plus la soutenir. Dans cette clinique, les crises autistiques dues à une surcharge sensorielle sont considérées par le personnel comme une instabilité émotionnelle et une recherche d’attention et font l’objet de reproches au motif qu’elles troublent la vie en communauté. Elle échappe de justesse au diagnostic erroné de «trouble de la personnalité borderline». Dans cette clinique, l’autisme n’est même pas mentionné et semble y être complètement méconnu. N.O. ne reçoit pas non plus le soutien espéré en ce qui concerne le TDPM ou l’endométriose; les médecins ne semblent pas savoir comment traiter ces maladies. Lorsqu’on lui refuse des antidouleurs durant ses règles et en cas de douleurs dues à l’endométriose, comparable à l’appendicite, N.O. s’effondre. Des proches viennent alors la chercher à la clinique. Après ce séjour à la clinique, N.O. ne quitte plus sa chambre durant deux semaines et se réveille en hurlant à cause de ses cauchemars. Ces expériences ont des répercussions jusqu’à aujourd’hui: N.O. y pense tous les jours et développe des attaques de panique lorsqu’elle se retrouve dans un lieu similaire.

Lorsqu’elle a 25 ans, à la suite d’un effondrement, N.O. reçoit le diagnostic susmentionné. Elle se fait prescrire pour la première fois des protecteurs gastriques et est informée des possibilités de combinaison d’antidouleurs pour le traitement de l’endométriose. La médecine n’a en effet reconnu que récemment que l’endométriose était une véritable maladie, à l’image de nombreux autres domaines de la médecine de genre largement négligés auparavant. N.O. n’admet toujours pas sa situation, n’en ayant jamais connu d’autre. Elle finit par s’inscrire auprès de l’assurance-invalidité après un travail de persuasion de la part de sa famille, bien que sa logique autistique et littérale, ainsi que son sens aigu de la justice la bloquent dans un premier temps et qu’elle ne se considère pas comme «invalide». Elle ne peut suivre les formations continues financées par l’AI que si des membres de sa famille l’accompagnent aux cours ou que les modules ont lieu en ligne. En raison d’un surmenage social et de douleurs physiques dues à l’endométriose, elle doit annuler des cours à plusieurs reprises et reporter de nombreux examens et ne peut rendre certains travaux exigés. Elle lutte contre les effets secondaires du traitement de l’endométriose: la codéine la rend si somnolente pendant les cours que des membres de sa famille doivent venir la chercher.

«Si vous le voulez, vous le pouvez»

L’assurance-invalidité refuse finalement la demande de rente AI de N.O. et justifie sa décision par le fait que N.O. dispose de ressources de qualité et en suffisance qui pourraient l’aider. Selon l’AI, ses limitations physiques n’auraient pas d’effet durable sur sa capacité de travail, N.O. serait bien informée de son diagnostic psychiatrique et parviendrait à établir activement un contact avec d’autres personnes concernées. L’AI estime que son niveau d’activité montre que N.O dispose de ressources et qu’elle ne souffre pas d’une limitation uniforme dans tous les domaines de la vie.

Du point de vue des expert·e·x·s psychiatriques, l’argumentation de l’AI ne tient pas suffisamment compte des rapports médicaux et n’a pas procédé à une appréciation suffisante. Les spécialistes considèrent qu’ils ne se seraient uniquement basés sur les ressources déjà connues auparavant, sans tenir compte de la dynamique d’un trouble du spectre de l’autisme tel qu’il s’exprime typiquement chez les femmes. N.O. décide alors de déposer un recours contre la décision de l’AI, malgré son épuisement total.

N.O. écrit à humanrights.ch: «Je suis fatiguée, suicidaire depuis l’âge de seize ans. Je ne supporte pas d’entendre sans cesse ‘Si vous le voulez, vous le pouvez’. Il y a deux mois, j’ai découvert lors d’un court séjour intensif dans un centre d’intervention de crise qu’un traitement à domicile n’était proposé qu’en ville. Il est pourtant très clair qu’il faudrait des centres de crise et d’intervention dans des environnements plus calmes. Lorsque j’ai demandé à entrer dans une clinique de soins aigus et que j’ai dit que j’avais simplement besoin de repos et sommeil, comme le recommandent les spécialistes en cas de surmenage chez les personnes atteintes d’autisme, on m’a dit que je ne pouvais pas être reçue dans un service de soins aigus, car il y aurait trop de bruit et de mouvements. On m’a également dit dans les cliniques que je devrais être capable de suivre le programme intensif; il faudrait que je puisse me tenir au nombre élevé d’heures de thérapie prescrites par les caisses maladies. Or à cause de ma surcharge sensorielle rapide due à l’autisme et à mes capacités réduites, un accès important à une intervention de crise m’est refusé si je ne peux pas m’adapter.» Les expert·e·x·s lui reconnaissent effet une capacité très réduite à participer à un programme thérapeutique.

Droit à l’égalité de traitement et à un traitement adéquat bafoué

Le recours remet en question la légitimité de la révocation de l’incapacité de travail. L’évaluation médicale de l’incapacité de travail est centrale pour effectuer une appréciation juridique ultérieure la capacité de travail qui peut encore être exigée de la personne assurée (ATF 140 V 193, consid. 3.2). À cet égard, les médecins spécialistes et consultant·e·x·s tirent la même conclusion: la recourante est en incapacité totale de travail depuis plusieurs années et jusqu’à nouvel ordre, et aucune aptitude à la réadaptation n’est pour l’instant détectée.

Du point de vue des droits humains, la question se pose au-delà de la garantie des besoins vitaux par l’une ou l’autre institution sociale. Il s’agit de reconnaître une atteinte psychique et physique en tant que handicap ainsi que l’égalité de traitement pour N.O. en tant que femme et personne en situation de handicap en matière d’accès à des soins de santé adéquats (art. 8 Cst., art. 14 CEDH, art. 3 let. g et 6 CDPH).

Dans les rapports médicaux, le tableau clinique de N.O. correspond à différents diagnostics d’un système de classification reconnu (CIM-10). Les droits spécifiques des personnes en situation de handicap, tels que définis notamment dans la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et dans la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHand) sont ainsi garantis. En ce qui concerne le droit à des soins adéquats, selon l’art. 41 al. 1 let. b de la Constitution fédérale (Cst.) toute personne a droit aux soins nécessaires à sa santé. De plus, l’art. 17 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) prévoit que toute personne en situation de handicap a droit, sur la base de l’égalité avec les autres, au respect de son intégrité physique et mentale. Conformément à l’art. 25 CDPH, les États parties, et donc la Suisse, reconnaissent «que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap». Les États parties sont tenus de prendre «toutes les mesures appropriées pour leur assurer l’accès à des services de santé qui prennent en compte les sexospécificités, y compris des services de réadaptation». Ce faisant, les États parties fournissent «aux personnes handicapées les services de santé dont celles-ci ont besoin en raison spécifiquement de leur handicap, y compris des services de dépistage précoce, et s’il y a lieu, d’intervention précoce […]». L’article 12 de la Convention sur les droits des femmes (CEDEF) contient la même exigence, à savoir que «les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux […]». Ce principe est également présent à l’art. 5 de la LHand, qui stipule que la Confédération et les cantons prennent des mesures pour prévenir, réduire ou éliminer les inégalités qui frappent les personnes en situation de handicap, en mentionnant que les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap doivent être pris en compte.

La Confédération et les cantons ont l’obligation de garantir la reconnaissance des diagnostics spécifiques aux femmes par les services compétents des assurances sociales. Il est également nécessaire de mener des actions pour que les offres de soins de santé soient orientées en fonction du sexe et du handicap, en créant notamment des moyens d’intervention de crise adéquats en cas de troubles psychiques – pour les personnes atteintes du spectre de l’autisme: un environnement calme et un programme thérapeutique adapté.

Si vous connaissez ou vivez une histoire similaire, contactez autistinnen@gmail.com ou www.autistinnen.ch

Liens

*Trouble du spectre de l’autisme (TSA): Le système de classification CIM-10 de l’OMS, en vigueur dans l’espace germanophone jusqu’en 2022 distinguait trois types d’autisme classés comme troubles envahissants du développement: l’autisme infantile précoce, l’autisme atypique et le syndrome d’Asperger, également appelé autisme de haut niveau, en raison de l’absence d’un déficit de développement cognitif ou linguistique chez les personnes atteintes. La CIM-11 actuellement en vigueur ne définit plus qu’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) général et global, constatant qu’une délimitation claire des différentes sous-catégories mentionnées n’est pas possible. Les personnes atteintes d’un TSA ont une autre manière de traiter l’information: elles ne voient, n’entendent et ne perçoivent pas le monde comme les personnes «neurotypiques». Elles rencontrent des difficultés dans la prise de perspective, c’est-à-dire de se mettre à la place des autres et d’adapter leur manière de communiquer. De plus, elles ne parviennent pas très bien à lire les émotions de leurs interlocuteur·trice·x·s sur leur visage et ont par conséquent des difficultés dans la compréhension des codes sociaux ou de l’ironie. Elles évitent donc souvent les interactions sociales. S’habituer à des nouveautés représente un défi pour les personnes atteintes d’un TSA, en conséquence, il est plus facile pour elles d’organiser leur journée en suivant toujours le même déroulement (rituels) et de rester dans un environnement familier. Les personnes atteintes d’un TSA portent une attention particulière aux détails, ce qui rend difficile la perception d’une situation dans son ensemble. Elles aiment généralement se concentrer sur un intérêt spécifique. Les personnes atteintes d’un TSA peuvent rencontrer des difficultés dans leurs mouvements et leurs capacités motrices. Elles présentent souvent une hypersensibilité ou une hyposensibilité à la lumière, aux odeurs, au bruit ou au toucher, ce qui se manifeste par une fascination pour la lumière ou pour les surfaces brillantes, par des réactions violentes à des bruits spécifiques, par une recherche constante du contact physique, ou par la volonté de sentir ou de toucher des surfaces et des objets. En raison de ces troubles de la modulation sensorielle et de l’importance qu’elles accordent aux détails, les personnes atteintes d’un TSA ont d’importants problèmes pour appréhender leur environnement comme un tout cohérent. Ceci entrave considérablement leur capacité d’assimilation des apprentissages. Cette perception différente du monde peut conduire à un «overload», soit une surcharge sensorielle qui survient lorsque les sens sont tellement stimulés que la personne ne peut plus distinguer entre les incitations importantes et les autres. La personne ne peut alors ni se calmer ni se retirer, ce qui peut provoquer chez elle des situations de «meltdown» - un effondrement qui se manifeste généralement par une explosion de colère incontrôlée - voire aboutir à un «shutdown» - repli complet de la personne sur elle-même et perte partielle ou complète de sa capacité d’interaction.

Si on ne constate aucune augmentation du nombre de diagnostics pour les formes sévères de TSA, il en va tout autrement pour l’autisme dit «à haut niveau de fonctionnement». Les personnes atteintes par cette forme de TSA sont généralement diagnostiquées à la puberté, voire à l’âge adulte. Il existe d’ailleurs une différence considérable entre les genres, en particulier pour les filles autistes ne présentant aucun trouble du développement intellectuel, puisqu’elles sont beaucoup moins rapidement diagnostiquées que les garçons avec la même forme de TSA. Chez les femmes, des diagnostics erronés ou l’absence de diagnostic sont plus fréquents, car elles réussissent mieux à s’adapter à leur environnement et passent ainsi inaperçues plus longtemps comparés aux hommes atteints d’un TSA. Cette capacité d’adaptation est nommée «camouflage».

**Endométriose: (cf. classification selon la CIM-10): l’endométriose est définie comme le développement anormal de tissu de la muqueuse utérine en dehors de l’utérus dans la région pelvienne, mais, dans de rares cas, également à divers autres endroits à l’intérieur et à l’extérieur de l’ensemble de la région abdominale. Des organes, tels que les intestins, la vessie ou même les poumons peuvent également être touchés. Cette muqueuse utérine située en dehors de l’utérus est également stimulée par les hormones sexuelles féminines au cours du cycle menstruel, qui peut provoquer des réactions inflammatoires locales. De ce fait, les personnes atteintes ressentent des douleurs dans cette zone à cause de l’irritation des nerfs par l’inflammation. Les femmes concernées souffrent ainsi souvent de fortes douleurs, en particulier durant leurs règles. Par la suite, ces douleurs peuvent apparaître bien avant les règles ou indépendamment de celles-ci, et deviennent alors chroniques.

*** Trouble dysphorique prémenstruel (TDPM) (cf. classification selon la CIM-11): le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM) se caractérise par des symptômes psychiques et physiques dépendants du cycle menstruel avec une labilité émotionnelle marquée. Il constitue une entité clinique distincte ayant valeur de maladie, qui nécessite une approche multidisciplinaire. Il n’est pas rare que le manque de connaissance du TDPM conduise à des erreurs de diagnostic et de traitement. L’intégration du TDPM dans la CIM-11 en tant qu’entité clinique distincte devrait permettre de progresser dans le traitement des femmes concernées et dans la recherche ciblée sur cette pathologie.