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L'apprentissage pour les jeunes sans papiers n'est toujours pas une réalité

23.09.2014

À l’issue de leur scolarité obligatoire, les jeunes sans-papiers pourront, sous certaines conditions, effectuer un apprentissage professionnel. C'est l'objectif de la modification sur l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA) entrée en vigueur le 1er février 2013. Les autorités fédérales avaient ainsi répondu à une motion parlementaire dans le cadre d’un débat lancé par la Ville de Lausanne en 2010.

Plus d'une année plus tard, l'accès des jeunes sans-papiers à l'apprentissage reste cependant largement entravé. Alors que l'administration estime le nombre de jeunes sans-papiers pouvant demander à commencer un apprentissage entre 200 et 400, seules deux demandes effectives ont été déposées à l'Office des migrations (ODM) au cours des derniers douze mois. L'observatoire suisse du droit d'asile et des étrangers (ODAE) et la Plateforme nationale pour les sans-papiers expliquent cet écart et demandent un ajustement de l'ordonnance pour une plus grande effectivité.

Apprentissages pour les jeunes intégré-e-s et sans casier judiciaire 

Le nouvel article (30a OASA) fixe les conditions pour permettre aux jeunes sans-papiers d’obtenir une autorisation de séjour temporaire dans le but de pouvoir suivre une formation professionnelle. Cette réforme a pour but de supprimer l’inégalité de traitement qui prévalait entre les jeunes sans-papiers qui étudient et ceux souhaitant entamer un apprentissage. Selon la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr), tout étranger qui entend exercer une activité lucrative en Suisse doit posséder une autorisation de séjour (article 11, al. 1). Jusqu’ici, les jeunes sans-papiers pouvaient donc certes suivre la voie académique, qui est non-lucrative, mais ne pouvaient pas entreprendre un apprentissage professionnel. 

Pour bénéficier d’une autorisation de séjour correspondant à la durée de l'apprentissage, l’adolescent-e doit avoir fréquenté l’école obligatoire en Suisse pendant cinq ans minimum et être bien intégré-e. Une bonne intégration se traduit notamment par la maîtrise d’une langue nationale et le respect de l’ordre public. La demande pour l’autorisation de séjour devra être déposée directement après la scolarité obligatoire. Au terme de la formation initiale, les institutions cantonales en accord avec l’Office fédéral des migrations pourront décider d’une prolongation de l’autorisation et octroyer une autorisation de séjour aux parents et aux frères et sœurs de la personne concernée. Ne prévoyant aucune automaticité, l’examen pour une prolongation de l’autorisation du séjour se fera au cas par cas selon le droit en vigueur (art. 31 OASA). 

L'ordonnance doit être modifiée

Un peu plus d'une année après l'entrée en vigueur de la modification d'ordonnance, le constat est négatif. Alors que l'on estime entre 200 et 400 et le nombres de jeunes potentiellement concerné-e-s, seules deux demandes ont été déposées auprès de l'ODM. Pour l'ODAE et la Plateforme nationale pour les sans-papiers, cet échec aurait plusieurs causes. Les deux organisations pointent notamment du doigt le fait que les exigences posées sont hautes et les risques élevés pour les jeunes et leurs familles. 

Il est par exemple difficile pour les jeunes de remplir la condition d'avoir passé cinqu années de scolarité en Suisse puisque la plupart sont arrivé-e-s sur le territoire dans l'adolescence uniquement. L'obligation de fournir son identité au moment du dépôt de demande est également un obstacle de taille (art. 30a let. f OASA). De fait, en cas de réponse négative, c'est toute la famille qui risque l'expulsion. La Plateforme nationale pour les sans-papiers demande à ce que l'ordonnance soit modifiée comme suit: anonymiser les demandes ; restreindre les preuves d’intégration au seul fait d’avoir trouvé une place d’apprentissage ; octroyer un permis de séjour automatique aux membres de la famille ; remettre une attestation pendant le traitement d’une demande et que cette dernière ne dépasse pas la durée d’un mois.

Et maintenant?

Dans sa réponse à la question déposée par la députée Bea Heim (PS/AG), le Conseil fédéral a pris position sur l'échec de la modification d'ordonnance pour les jeunes sans-papiers. Il indique que l'ODM prévoit un atelier avant la fin de l'année 2014 afin de réunir les personnes actives sur la question. Il sera alors décidé de la pertinence de modifier à nouveau OASA. 

Commentaire humanrights.ch

En 2013 déjà, humanrights.ch insistait sur le fait que demander à des jeunes sans-papiers de révéler leur identité était contestable et pouvoit avoir des effets pervers. Les familles des jeunes concerné-e-s qui jugent le risque trop grand pourraient en effet obliger les adolescent-e-s à renoncer à leur formation. 

C’est aussi pour le moins préoccupant de voir que la Confédération ne montre plus aucun courage pour l’octroi d’autorisations de séjour. L’utilisation du mot «peut», dans l'ordonnance entrée en vigueur le 1er février 2013, est problématique parce que le risque d’expulsion demeure aussi bien pour la personne souhaitant faire un apprentissage que pour sa famille. Il aurait été plus judicieux d’introduire dans le texte un droit à une autorisation de séjour pendant la durée de l’apprentissage ainsi qu’un droit à une prolongation après la fin de l’apprentissage. 

En outre, cela semble quelque peu risqué d’accorder une autorisation à une personne mineure sans l’octroyer à ses parents. Au moins tant que l’apprenti-e est encore mineur-e, un permis de séjour devrait être délivré automatiquement aux membres de sa famille.

Pour toutes ces raisons, humanrights.ch se demande si la Suisse veut vraiment se conformer aux principes de Convention des droits de l’enfant; si elle souhaite, comme tous les Etats signataires, «encourager l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel et les rendre ouvertes et accessibles à tout enfant» (art. 28 CDE).

Historique

Le 18 février 2010, la municipalité de la Ville de Lausanne avait pris une décision courageuse, controversée et contraire à la loi fédérale: vouloir engager dès 2011 quatre jeunes clandestins pour suivre une des 150 places d’apprentissage au sein de son administration. Le Conseil communal avait donné son feu vert (57 oui, 23 non et 4 abstentions) le 29 mars 2011 à la municipalité pour étudier la question de l’engagement d’apprenti-e-s sans-papiers. Chaque année, une vingtaine des 200 à 300 enfants de sans-papiers scolarisés à Lausanne terminent l’école obligatoire. S’ils/elles ne sont pas en position de continuer l’école secondaire et l’université, ils/elles sont laissés à eux-mêmes, interdit-e-s de formation professionnelle et de travail. Cette démarche constituait une première en Suisse.

Dans le contexte des discussions autour de plusieurs motions, dont celle de Luc Barthassat (GE/PDC), cette initiative se voulait, selon Oscar Tosato, en charge de l’enfance, la jeunesse et l’éducation, une pression qui «brise l’immobilisme des autorités fédérales».

Emulation ailleurs en Suisse

C’est à l’occasion du vernissage de l’exposition «Aucun enfant n’est illégal» le 3 mars 2010 que la conseillère administrative genevoise Sandrine Salerno avait annoncé l'intention de la Ville de Genève d’intégrer quelques jeunes clandestins dans son programme d’apprentissage. Les modalités légales n’étant pas évidentes, le conseiller d’État genevois en charge de l'instruction Charles Beer annonçait ne rien vouloir faire d'illégal, mais «tout ce qui pourra être assoupli le sera.». D'autres communes, notamment à Bâle et Zurich, avaient lancé des initiatives du type du «chèque apprentissage» genevois qui assure la couverture sociale des mineur-e-s en formation.

Deux changements à la suite de la consultation

Alors que le projet était vivement contesté, seuls deux changements ont été réalisés. En réponse à certaines critiques émises dans le cadre de la consultation, un impératif a été introduit: la personne requérante sera obligée de révéler son identité lorsqu’elle fera sa demande.

En outre, le/la jeune sans-papiers devra déposer une demande dans les douze mois qui suivent la fin de sa scolarité obligatoire et non immédiatement après comme cela était prévu dans le projet. Cette modification tient mieux compte des difficultés auxquelles ces jeunes peuvent être confrontées lorsqu’ils/elles recherchent une place d’apprentissage.

Sources

Motions parlementaires

Information complémentaire