16.05.2012
La mise en œuvre du nouvel article du Code civil interdisant de se marier aux personnes résidant en Suisse sans titre de séjour est problématique. Après les tribunaux cantonaux vaudois et bernois, le Tribunal fédéral a confirmé dans son ATF 137 I 351 qu’une interdiction systématique d'accéder au mariage opposée à des étrangers sans titre de séjour est contraire à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Dans leur arrêt, les juges de Mon Repos se sont basés sur un cas anglais présenté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) pour accepter le recours d’un Camerounais en situation irrégulière et de sa compagne, qui bénéficie, elle, d’une autorisation de séjour. Si la CrEDH admet en effet que l'absence de statut légal peut être un motif de refus si et seulement si l'union projetée est fictive et vise à obtenir un permis de séjour, une interdiction générale telle que celle appliquée en Suisse depuis 2011 est en revanche disproportionnée.
Dans son ATF 138 I 41 du 17 janvier 2012, le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence.
Le rôle de la police des étrangers
Contrairement au Tribunal cantonal vaudois, qui jugeait la loi inapplicable, le TF pense pour sa part qu’une solution est possible. Le TF recommande donc une approche flexible de « Lex Brunner » permettant une application conforme à la CEDH. Très clair, l’article 98 al. 4 du Code civil en question ne donne cependant aucune marge de manœuvre aux officiers d’Etat civil. Chargés par la nouvelle loi de refuser systématiquement toute demande de mariage émanant de personnes sans titre de séjour, ceux-ci n’ont d'autre choix que celui d’appliquer le droit en vigueur.
C’est donc à la police des étrangers de prendre en compte les exigences liées au respect du droit au mariage et au principe de proportionnalité. Elle devra ainsi d’après le TF délivrer un titre de séjour en vue du mariage lorsqu’il n’y a pas d’indice que l’étranger entende, en se mariant, invoquer abusivement les règles sur le regroupement familial.
Des critères clairs
Le fait qu’il ne doive pas y avoir suspicion de mariage blanc n’est pas la seule condition posée par le TF pour l’obtention d’un titre de séjour en vue du mariage. Il faut également que les conditions d'admission en Suisse après le mariage soient manifestement remplies. D’après le TF, il n’y a aucune raison de prolonger le permis de séjour d’une personne en vue de son mariage, si celle-ci doit dans tous les cas quitté la Suisse par après.
Le tribunal vaudois sans appel
Le 30 septembre 2011, le Tribunal administratif vaudois avait déjà rendu un arrêt cinglant contre l’interdiction de mariage frappant les sans-papiers. Cet arrêt du tribunal vaudois s'appuyait également sur la sentence de la CrEDH, qui a condamné en décembre 2010 le Royaume-Uni pour avoir, lui aussi, fermé la voie du mariage aux sans-papiers. Etant donné que la nouvelle révision allait contre l'article 12 de la CEDH, les juges vaudois étaient arrivés à la conclusion qu'il n'y avait «pas place pour une interprétation conforme au droit international» de l'interdiction du mariage frappant les personnes sans permis de séjour.
Recherche de solution bernoise
Dans son jugement du 23 juin 2011, le Tribunal administratif bernois s'était montré plus nuancé. Il avait également établit que les autorités ne peuvent pas interdire de façon définitive la conclusion d’un mariage, sachant que le droit au mariage est entre autres garantit par la Constitution fédérale. Afin de préserver le principe de proportionnalité et le but du législateur, le tribunal bernois avait cependant décidé qu’il était possible de mettre en place un régime d’exception sur condition. Les personnes séjournant dans le canton sans autorisation et désirant se marier doivent ainsi obtenir une autorisation de séjour de courte durée en vue du mariage pour autant que les conditions d’admission soient manifestement réunies.
Une loi contre les mariages blancs
La révision du Code civil, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, impose aux fiancés qui veulent se marier en Suisse d’établir qu’ils séjournent légalement dans le pays avant d’entamer une procédure préparatoire au mariage (art. 98 al. 4). Résultat d'une initiative parlementaire intitulée "Empêcher les mariages fictifs", déposée le 16 décembre 2005 par le Conseiller national Toni Brunner (UDC/SG), la révision prévoit également l’obligation pour les officiers d’Etat civil de communiquer à l’autorité compétente l’identité des fiancés qui n’ont pas établi la légalité de leur séjour en Suisse (art. 99 al.4).
Au moment du traitement de cet objet par le Parlement, humanrights.ch avait déjà, avec d’autres organisations de défense des droits humains, informer les autorité qu’une telle loi revenait à interdiction générale du mariage pour les sans-papiers. Une interdiction qui ne saurait en aucun cas être compatible avec le Convention européenne des droits de l’homme.
Sources
- Droit au mariage et séjour irrégulier: suite de la saga jurisprudentielle
Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), newsletter du 2 mai 2012 - Les sans-papiers ne peuvent être exclus du droit au mariage (le lien n'existe plus)
ATS repris par 24Heures, 8 décembre 2011 - Droit au mariage pour les ressortissants étrangers en situation irrégulière : nouvelle jurisprudence cantonale
Centre suisse de compétence pour les droits humains, 26 octobre 2011 - Mariage des sans-papiers: imbroglio juridico-institutionnel
Domaine public, 24 janvier 2012 - Droit au mariage et séjour irrégulier
Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), newsletter du 1er février 2012
Les arrêts
- ATF 138 I 41 du 17 janvier 2012
- ATF 137 I 351 du 23 novembre 2011
- Décision du Tribunal administratif du canton de Berne du 23 juin 2011 (pdf, 12 p.)
- Décision du Tribunal administratif du canton de Vaud du 30 septembre 2011 (pdf, 12 p.)