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Soupçons de violences policières dans le canton de Vaud: les autorités doivent réagir

30.04.2018

En l’espace d’une année, plusieurs personnes sont décédées dans le canton de Vaud dans le cadre d’une arrestation policière ou à la suite de celle-ci. Une situation préoccupante qui a suscité plusieurs mouvements de la société civile, qui dénonce l’absence de réaction des autorités et une forme d’impunité et de racisme quasi institutionnel.

Alors que les politiques ne semblent pas prêtes à s’attaquer au problème et que le volet juridique traîne en longueur, il convient de rappeler que la Suisse a des obligations internationales en la matière. Notamment celle d’assurer une procédure d’enquête adéquate suite à des cas de violence policière. Une exigence qui n’est pas remplie pour l’instant.

Multiplication de cas graves

En novembre 2016, un jeune homme apparemment sans histoire mourait sous les balles d’un agent à Bex. En même temps, un autre qui faisait son jogging se retrouve ciblé «par erreur» par la police à Lausanne et termine aux urgences avec de nombreuses blessures. Un peu plus tard en 2017, un troisième homme meurt en prison sans aucune raison apparente. Il y aurait lui aussi été emmené «par erreur». Enfin, février 2018, un quatrième homme décède des suites d’un contrôle de police qui a mal tourné.

Le point commun entre ces affaires est que toutes ces personnes étaient noires et que l’on ne parvient pas à savoir avec certitude ce qui leur est arrivé, faute de transparence. Certaines avaient possiblement des choses à se reprocher vis-à-vis de la justice, d’autres pas, mais aucune n’était censé être gravement blessée ou décéder des suites ou à la suite d’une intervention policière. Et cela fait beaucoup de cas dans le canton de Vaud en un peu plus d’une année, sans parler d’évènements passés dont humanrights.ch s’était déjà fait le relais (voir notre article Violence policière: un jugement cantonal contre l'impunité).

Manifestations…

Au point que plusieurs organisations de société civile et de nombre de citoyen-ne-s s’en inquiètent publiquement. Les manifestations se répètent depuis la mort évoquée d’Hervé Bondembe Mandundu à Bex en 2016. Certaines sont organisées par le Collectif Jean-Dutoit, né en 2015 à Lausanne de la rencontre d’une centaine de personnes originaires d’Afrique de l’Ouest avec un groupe de citoyen·ne·s suisses. Du fait de son activité, le collectif est en contact permanent avec les personnes qui constituent les cibles classiques des contrôles de police, y compris de ceux qui dérapent, du fait de l’implication d’une partie d’entre elles dans le deal de rue à Lausanne. En 2017, le collectif a d’ailleurs rédigé un rapport dont tout un volet est consacré aux différents abus rapportés par ces populations par ailleurs fragilisées. Menaces sur la vie, confiscation illégale de papier d’identité, confiscation d’argent sans reçu, violences physiques et passage à tabac, la liste est longue et non-exhaustive. «Quand un des membres africains du Collectif cherche ensuite à  récupérer ses papiers au poste de police, on lui dit de revenir plus tard…preuve d’une discrimination supplémentaire, puisque lorsqu’un·e membre suisse du Collectif vient demander ces mêmes papiers la situation se débloque et les papiers sont restitués», relate le rapport.

…Et mobilisation de la société civile

La Ligue des droits de l’homme vaudoise relève également que les violences policières et les actes à caractère raciste semblent se multiplier de manière inquiétante au sein des forces de l'ordre vaudoises. Dans une lettre ouverte publiée le 19 avril 2018, son président Yan Giroud écrivait: «Nous demandons que des enquêtes indépendantes et impartiales soient menées lorsque les forces de polices sont dénoncées pour des actes qui pourraient tomber sous le coup du droit pénal, comme ceux à caractère racistes. Rappelons que la norme pénale antiraciste actuelle, avec les difficultés d’application qu’elle comporte, prévoit des peines privatives de liberté allant jusqu’à trois ans de prison». En effet les cas de violences policières vont souvent de pair avec le profilage racial (voir notre dossier sur ce phénomène et ses conséquences). Comme nombre d’ONG, la Ligue des droits de l’homme demande enfin dans la lettre ouverte la création d’un dépôt de plainte indépendante.

Obligations internationales

La création d’une telle instance est un enjeu de longue date de la société civile suisse. A Lausanne, elle n’a de façon étonnante bénéficié d’aucun relais politique, en dépit de plusieurs objets déposés au Conseil communal dans le contexte des récents et graves événements. Sur le plan cantonal, la question brille par son absence. Pourtant, les mécanismes de plainte pour les victimes de violence policière existants en Suisse ont été à plusieurs reprises l’objet de critiques de la part d’organes internationaux en charge des droits humains. Le Comité des droits de l’homme, le Comité de l’ONU contre la torture (CAT) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) se sont entre autres exprimés à ce sujet, regrettant justement l’absence de mécanismes indépendants d’enquête propres à chaque canton, tout comme le manque, au niveau fédéral, d’une base de données concernant les plaintes déposées contre la police.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a déjà condamné la Suisse à deux reprises (en 2006 et en 2013) pour ne pas avoir garanti une procédure d’enquête adéquate suite à des cas de violence policière.

Parcours du combattant

Concrètement, une personne qui s’estime victime de violence policières en Suisse n’a d’autres choix que d’aller porter plainte à la police elle-même. Au final, ce sera au Ministère public de trancher, malgré la proximité des deux institutions. En outre, la police, de son côté, engage alors automatiquement contre le plaignant une dénonciation pour troubles à l’ordre public et pose plaintes pénales pour injures contre agents de police. Comme l’indiquent les avocat-e-s qui travaillent sur ce genre de cas, la procédure est longue et onéreuse et les possibilités pour les plaidant-e-s d’obtenir gain de cause est proche de zéro. Le cas récemment jugé à Zurich de Wilson A., dans une situation similaire à certains incidents vaudois, montre encore une fois le déséquilibre du système (voir notre article en allemand).

Comme le relève le collectif Jean Dutoit dans son rapport de 2017, ce déséquilibre est d’autant plus dramatique pour les personnes fragilisées. Ces personnes, comme les agents de police eux-mêmes, savent très bien qu’elles n’ont pas les moyens de dénoncer les abus. Dans un système tel que celui-ci, le sentiment d’impuissance des premiers et celui d’impunité des seconds ne peut qu’être réalité.

Bientôt un mécanisme indépendant

De fait, la création de mécanisme d’enquête indépendant et l’amélioration de l’accès à la justice pour les personnes victimes d’abus est un point crucial. Ignorée des cantons et refusée par les communes, la thématique fait maintenant partie de l’agenda politique suisse. En avril 2018, le Conseil fédéral a en effet accepté des recommandations en ce sens faites dans le cadre du dernier Examen périodique universel de la Suisse (voir notre article). Il s’est donc engagé à instaurer, avec les cantons, des mécanismes d’enquête indépendants en cas de dénonciation de violence policière et à faire en sorte que les auteur-e-s de ces violences soient sanctionné-e-s en conséquence si leur culpabilité est avérée. Les événements vaudois montrent l’urgence de telles mesures, afin d’endiguer enfin un phénomène inquiétant. En 2017, Frédéric Maillard, le spécialiste romand des polices affirmait: «Avec des discriminations de plus en plus fréquentes et des interpellations qui tournent mal, on assiste à une dégénérescence dans la pratique policière en Suisse depuis 2015». Le Conseil fédéral semble avoir finalement pris conscience de ces problèmes. Reste maintenant aux cantons et aux communes à faire de même. Notamment au canton de Vaud, où un postulat a été déposé fin avril 2018: «Pour un mécanisme indépendant de plaintes pour les victimes de violences policières» . Un pas dans la bonne direction, mais qui doit encore être suivi par les autorités.

Instaurer un discours politique et institutionnel conscient des problèmes que sont le racisme, le profilage racial et les violences policières est le premier pas vers la mise en place des solutions. Et prévenir et punir les abus institutionnels ne profitera pas qu’aux citoyen-ne-s, mais également à l’institution elle-même, à savoir les polices (cantonales et communales). Alors qu’à Lausanne, nombre de conseillers communaux sont d’avis que remettre en question la police revient à appeler à une «haine» de l’institution, il convient de rappeler que le processus fonctionne plutôt à l’inverse. C’est effectivement le seul moyen d’éviter à moyen terme une perte de confiance de la population et le développement d’une hostilité globale vis-à-vis de ce corps essentiel au fonctionnement de notre société. Une hostilité qui ne profite à personne.