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Les personnes en situation de handicap ont droit à une mobilité autonome

02.05.2022

Dans son jugement concernant les nouveaux trains à deux étages des CFF, le Tribunal fédéral reconnaît explicitement le droit des personnes handicapées à une mobilité autonome. Il considère toutefois que seules les zones d’embarquement et de débarquement doivent être améliorées. Ainsi, les trains Dosto restent difficilement accessibles pour de nombreuses personnes en situation de handicap.

Dans son jugement concernant les nouveaux trains à deux étages des CFF, le Tribunal fédéral reconnaît explicitement le droit des personnes handicapées à une mobilité autonome. Il considère toutefois que seules les zones d’embarquement et de débarquement doivent être améliorées. Ainsi, les trains Dosto restent difficilement accessibles pour de nombreuses personnes en situation de handicap.

Dans son jugement du 22 décembre 2021, le Tribunal fédéral admet un recours de l’association faîtière des organisations de personnes handicapées en Suisse - Inclusion Handicap - sur deux des neuf points litigieux et améliore ainsi l’accès aux transports publics pour les personnes à mobilité réduite. Les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) doivent veiller à ce que toutes les zones d’entrée des trains à deux étages soient équipées d’une inclinaison maximale de 15%. En outre, l’Office fédéral des transports (OFT) doit vérifier si les personnes à mobilité réduite peuvent globalement utiliser de manière autonome et sûre les accès avec inclinaison maximale.

Le Tribunal fédéral rejette les sept autres griefs, laissant ainsi les personnes souffrant d’un handicap visuel ou auditif désavantagées dans les transports publics.

Pas de droit à une égalité de fait

En janvier 2018, Inclusion Handicap avait déposé un recours contre l’autorisation temporaire d’exploitation des nouveaux trains à deux étages des CFF. La plainte dénonçait 15 points qui rendaient difficile l’utilisation autonome des trains Dosto par les personnes en situation de handicap.

Les CFF et Inclusion Handicap sont parvenus à un accord à l’amiable sur quatre points. Sur les onze points de recours restants, dix ont été rejetés par le Tribunal administratif fédéral en novembre 2018. Le tribunal a argumenté que ni la loi sur l’égalité des personnes en situation de handicap ni la Constitution fédérale ne permettaient de déduire un droit individuel justiciable à l’établissement d’une égalité de fait entre les personnes en situation de handicap. De plus, l’équipement des trains serait conforme aux normes élaborées par la Commission européenne «Spécification technique d’interopérabilité - Accessibilité pour les personnes handicapées et les personnes à mobilité réduite» (STI PRM).

Le Tribunal administratif fédéral a estimé que des améliorations étaient nécessaires au niveau des rampes d’accès et de sortie. Les CFF devaient veiller à ce qu’au moins une rampe par train soit équipée d’une inclinaison maximale de 15%.

Droit à une mobilité autodéterminée

Dans ses considérants, le tribunal pose la question de savoir si les normes européennes pertinentes sont compatibles avec les prescriptions supérieures du droit suisse en matière d’égalité des personnes en situation de handicap. Ou si, avec les STI PRM 2014, des prescriptions techniques insuffisamment spécifiées ont pu être déclarées déterminantes, permettant aux CFF, tenus de respecter les droits fondamentaux (art. 35 al. 1 Cst.), de construire des trains qui ne peuvent pas être utilisés par des personnes en situation de handicap, ou seulement de manière très limitée.

L’interdiction de discriminer et de défavoriser les personnes handicapées, inscrite dans la Constitution et dans la loi (art. 1 ss LHand, art. 8 al. 2 Cst.), s’applique également au domaine des transports publics. Un contenu central de ces principes juridiques est de permettre aux personnes en situation de handicap de participer à la vie sociale de manière autonome et égale en droit. En conséquence, les prescriptions techniques nécessaires à l’aménagement des transports publics doivent également être ancrées dans la loi et dans des ordonnances. Si les personnes se déplacent dans l’espace public de manière autonome, elles doivent également pouvoir emprunter les services de transports publics de manière autonome. Le Tribunal fédéral reconnaît ainsi le droit des personnes handicapées à une mobilité autonome.

Pour le tribunal se pose ainsi concrètement la question de savoir si les zones d’embarquement et de débarquement des trains Dosto, malgré le respect de toutes les prescriptions techniques d’exécution, résistent à l’interdiction de discriminer de la Constitution (art. 8 al. 2 Cst.). Il s’agit ainsi de déterminer dans quelle mesure les personnes à mobilité réduite qui se déplacent par ailleurs de manière autonome dans l’espace public peuvent utiliser de manière autonome et sûre les zones d’accès aux trains Dosto. Le tribunal renvoie l’examen de cette question de fond à l’Office fédéral des transports.

Le Tribunal fédéral suit le raisonnement du Tribunal administratif fédéral dans la mesure où il ne constate pas de désavantage inadmissible en soi dans l’inclinaison maximale de 15% de la rampe dans la zone d’embarquement et de débarquement des trains. Contrairement à l’instance précédente, il arrive toutefois à la conclusion que cette inclinaison maximale de la rampe ne doit pas seulement s’appliquer à un seul accès par train, mais à toutes les zones d’entrée et de sortie. Il charge l’Office fédéral des transports de fixer un délai raisonnable aux CFF pour garantir cette condition.

L’utilisation autonome des trains reste limitée

Le Tribunal fédéral considère les sept autres griefs d’Inclusion Handicap comme non fondés, invoquant la conformité des trains Dosto à différentes normes techniques. Ces griefs concernent la longueur des mains courantes et des barres d’appui, l’emplacement ainsi que le marquage acoustique et visuel des boutons d’ouverture des portes, l’éclairage fortement éblouissant dans les toilettes et la zone des sièges ainsi que les obstacles physiques comme les porte-bagages au niveau supérieur.

Selon le Tribunal fédéral, il est légalement acceptable que les personnes en situation de handicap ne puissent pas utiliser chaque partie d’un train exactement de la même manière que les autres personnes. Ainsi, le fait que les personnes ayant un handicap visuel doivent voyager à l’étage inférieur des trains Dosto parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité en utilisant les mains courantes des escaliers n’enfreint pas l’interdiction de discrimination.

Renforcement du droit de recours des associations

Le Tribunal fédéral conclut que l’indemnité judiciaire de CHF 252 000 infligée par le Tribunal administratif fédéral à la charge d’Inclusion Handicap doit être revue à la baisse. Selon les juges, une indemnité trop élevée pour les parties peut avoir des répercussions négatives sur l’exercice futur du droit de recours des associations. Le recours d’ Inclusion Handicap défend également un intérêt public dans le domaine de l’égalité des personnes en situation de handicap (art. 9 LHand). Le Tribunal fédéral renforce ainsi le droit de recours des associations en tant qu’instrument de contrôle pour la garantie des droits des personnes en situation de handicap. 

La mobilité autonome pas encore pour tout le monde

En étendant l’obligation de respecter une inclinaison maximale des rampes de 15% à toutes les zones d’embarquement et de débarquement des trains Dosto, le Tribunal fédéral fait un pas dans la bonne direction: les personnes à mobilité réduite peuvent accéder de manière autonome à ces trains. En revanche, en rejetant les autres points, le tribunal accepte que autonomie reste très limitée dans les trains à deux étages, en particulier pour les personnes atteintes d’un handicap visuel ou auditif.

Pour les personnes aveugles ou malvoyantes et celles à mobilité réduite, il est toujours impossible d’accéder en toute sécurité au deuxième étage ou à la première classe en traversant les wagons, car les poignées de maintien ne sont pas assez longues ou manquent totalement. Le bouton d’ouverture des portes n’est pas accessible aux personnes en fauteuil roulant. En outre, il manque des signaux acoustiques de repérage pour les personnes malvoyantes et des boutons d’ouverture de porte suffisamment contrastés à l’extérieur du train. Enfin, l’éclairage trop fort dans les zones de sièges et dans les toilettes peut fortement éblouir les personnes malvoyantes.

En vertu de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, la Suisse doit, pour respecter l’égalité, permettre à toutes les personnes d’accéder aux moyens de transport (art. 9 CDPH). De plus, selon la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, la Suisse s’est engagée à ne pas défavoriser les personnes handicapées dans les transports publics (art. 7 al. 2, art. 8 al.1 LHand). En continuant à rendre difficile l’utilisation autonome des trains Dosto pour les personnes handicapées, la Suisse ne respecte pas ses obligations légales en matière de droits humains.

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