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Vers un cadre normatif: la politique des trois piliers

Alors qu'il avait présenté ses résultats intermédiaires en 2007 (deux rapports et quatre annexes), John Ruggie compile la somme de ses recherches dans le Rapport final qu'il propose au Conseil des droits de l'homme lors de sa 8è session (2008).

Ce rapport final et ses deux annexes posent les bases du cadre normatif que le représentant spécial entend utiliser comme socle pour ses actions futures. Le rapport final ne contient ainsi pas de solutions toute prêtes, mais un outil permettant de travailler à plus de cohérence entre les différents acteurs engagés dans ce processus complexe (gouvernements, entreprises et société civile). Dixit Ruggie, cet outil se donne pour mission de «rendre possible une réponse plus systémique et cumulative» face aux challenges très divers des relations entre STN et droits humains.

Le coeur de cet assemblage conceptuel se concentre dans ce que Ruggie apelle la politique des trois piliers. Premièrement, Ruggie rappelle le devoir central de l'État dans la protection des droits humains face aux violations de tiers (dont les STN et autres entreprises). Deuxièmement, les STN ont également la responsabilité de respecter les droits humains. Troisièmement, Ruggie appelle de ses voeux des structures permettant de faire valoir la voix des victimes en leur offrant l'opportunité réelle d'exiger réparations pour les torts subis.     

La politique des trois piliers

Protéger

Le premier pilier du cadre conceptuel souligne la responsabilité primordiale de l'État, qui reste l'acteur central du système de protection des droits humains. Cela implique que l'État doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour empêcher les violations des droits humains par des tiers. Il doit aussi bien mener des campagnes de prévention, enquêter sur les abus que sanctionner les fautifs.

Ruggie note que l'immense majorité des États accepte ce principe, mais que beaucoup n'ont pas conscience de la palette des actions possibles (encourager une culture d'entreprise responsable, agir de manière cohérente dans les politiques étatiques et les relations extérieures,...). La responsabilité des États placés en situation de conflits est particulièrement accentuée (notamment face aux STN de sécurité, agissant à la manière d'une armée privée). Certaines questions restent néanmoins ouvertes, notamment celle de l'obligation des États à empêcher des violations commises par des STN agissant à l'étranger mais ayant leur siège sur le territoire national.     

Respecter

Le deuxième pilier réfère directement à la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains dans leurs actions. Ce respect - do not harm - forme un critère minimum que toutes les entreprises se doivent de satisfaire. Ce principe est indissociable de l'idée de «diligence raisonnable» (due diligence), qui est censée permettre de répondre à la question des limites de la responsabilité d'une entreprise. Que peut-on légitimement attendre d'une entreprise lorsqu'elle agit et fait des affaires avec ses partenaires? Comment peut-elle évaluer les conséquences de ses actions? À n'en pas douter, les réponses à ces questions relèvent d'un contexte précis, qu'il importe d'examiner précisément. Le principe de diligence raisonnable oblige l'entreprise à se poser ces questions minimales. Conformément à ce principe, l'entreprise ne peut se réfugier derrière le fait qu'elle ne savait pas. Dans une certaine mesure, elle aurait dû savoir.

La présentation de ce deuxième pilier ne saurait être complet sans les définitions proposées par Ruggie aux concepts de «sphère d'influence» et de «complicité». Représenté sous forme de cercles concentriques, le concept de sphère d'influence est particulièrement débattu. Il n'indique en effet rien de moins que les limites de la responsabilité d'une entreprise. L'idée du «qui peut, doit» est un point qui déchaine les passions. Une STN active à l'étranger qui aurait les moyens d'empêcher des violations des droits humains (qu'elle ne commet pas elle-même) doit-elle être contrainte d'agir ? Le concept de complicité est également de première importance, notamment sous l'angle de la participation indirecte à des violations de droits humains (via des intermédiaires).  

Réparer

Le troisième pilier entend promouvoir les mesures donnant accès à des réparations. D'une part, il s'agit d'un accès réel au système judiciaire de l'État. Les opportunités de faire entendre sa voix et de dénoncer des violations doivent être accessibles à tous. D'autre part, des mécanismes non-judiciaires (arrangement en dehors des tribunaux) sont également possibles. Ruggie note que certaines entreprises mettent à disposition des moyens de réclamations. La transparence de ces mécanismes n'est toutefois pas toujours satisfaisante.  

Réactions positives et nombreuses revendications 

Les réactions provoquées par le cadre conceptuel de Ruggie sont nombreuses. La chambre de commerce internationale, les représentants des associations patronales et les organisations de défense des droits humains ont réagi de manière positive au rapport final de Ruggie. Les Etats parties de l'ONU ont également souligné l'apport de Ruggie à une ambiance constructive afin de mener à bien les discussions nécessaires. 

Toutefois, de nombreuses voix ne cachaient pas leur impatience de voir ces principes se concrétiser sur de nombreux niveaux. Les diplomates du Pakistan, d'Égypte, du Nigéria, d'Afrique du Sud et de Belgique ont ainsi appelé de leurs voeux un cadre normatif plus entreprenant.    

  • Le suivi au jour le jour de la 8è session du Conseil des droits de l'homme
    Résumé de chaque journée proposé par International Service for Human Rights (en angl., voir surtout 3-5 juin 2008)

Perspectives d'actions pour le représentant spécial

A la suite de la présentation du rapport final en 2008, le Conseil des droits de l'homme a décidé de prolonger le mandat de Ruggie jusqu'en 2011. En juin 2009, ce dernier a déjà présenté un rapport mettant en exergue les développements possibles de la politique des trois piliers. Ruggie s'attaque de front à la question de la concrétisation et de l'implémentation des propositions qu'il avait formulées dans son rapport de 2008.

Durant sa présentation devant le Conseil des droits de l'homme, les États parties ont, entre autres, regretté le peu d'attention accordée aux situations de conflits armées. De leur coté, les ONG ont souligné le manque de propositions faites par Ruggie quant à l'opportunité d'introduire des standards contraignants pour les STN. 

Information complémentaire