10.04.2012
Texte rédigé par Thomas Braunschweig, Déclaration de Berne (DB)
Lors de la session de printemps 2012, le Parlement a examiné le rapport du Conseil fédéral sur la politique économique extérieure. Ce rapport ne fait pas mention des droits humains dans les accords commerciaux. Une omission inquiétante, car conformément au droit national suisse mais aussi au droit international, la Suisse est tenue de clarifier les implications de ses accords de libre-échange sur les droits humains, ainsi que des experts l’ont rappelé récemment et de manière répétée.
Commerce extérieur: priorité aux accords bilatéraux de libre-échange
Au début de l’année, le Conseil fédéral a approuvé son rapport sur la politique économique extérieure. Les accords bilatéraux de libre-échange (ALE bilatéraux) sont au cœur de la stratégie actualisée du Conseil fédéral en matière de politique économique extérieure. La conclusion de tels accords avec des pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Russie ou l’Indonésie figure parmi les priorités des autorités fédérales. Si les avantages économiques procurés par ces ALE font l’objet d’une étude détaillée, aucune allusion n'est faite quant aux implications négatives que ces accords pourraient avoir sur les droits humains. Et ce, malgré le fait que plusieurs organes de l’ONU attirent l’attention sur ces risques depuis des années et exigent des États une meilleure prise en compte des questions relatives aux droits humains dans leurs ALE. Voilà qui est décevant.
Le rapport fait fi des recommandations internationales
Pis encore: il y a un peu plus d’une année, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a suggéré à notre gouvernement, dans son examen périodique de la Suisse, de prendre en compte les obligations des États partenaires en matière de droits humains, lors de la négociation et de la conclusion d’ALE. Le Comité recommande en outre à la Suisse de vérifier les implications de sa politique commerciale et de ses accords commerciaux sur les droits humains de la population vivant dans le pays partenaire. Le rapport du Conseil fédéral ne fait aucune remarque à ce propos.
En automne 2011, un groupe de 40 experts juridiques - sous la houlette du Maastricht Center for Human Rights de l’Université de Maastricht et de la Commission internationale de juristes (CIJ) - a adopté après plusieurs années de recherches les « Principes de Maastricht relatifs aux obligations extraterritoriales des Etats dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels ». Ces Principes obligent notamment les États à évaluer préalablement les risques et les impacts extraterritoriaux potentiels de leurs politiques sur les droits humains. Le Conseil fédéral ne fait aucune allusion à de tels principes internationaux, qui valent pourtant aussi pour la politique économique extérieure de la Suisse.
Les études d’impact sur les droits humains passées sous silence
A la fin de l’année 2011, la Suisse a reçu un autre signal fort: un avis de droit émanant du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH). Au moment où la Suisse et la Chine négociaient un accord de libre-échange, l’étude du CSDH faisait observer que la Suisse a l’obligation légale de clarifier les implications d’un tel accord sur les droits humains. Elle allait même plus loin, mentionnant l’«obligation de prendre en compte les droits humains lors des négociations», ce qui implique que «la Suisse est tenue de prendre les résultats de ces études d’impact en compte lors de ses négociations avec la République populaire de Chine. Elle est également tenue d'œuvrer à ce que ces négociations aboutissent en ce sens». Le rapport du Conseil fédéral ne fait aucune allusion à ces obligations.
A l’avenir, les ALE conclus avec l’AELE (c’est dans ce cadre que la plupart des accords de la Suisse sont négociés) devront intégrer une clause de «durabilité». La Commission de politique extérieure du Conseil national a demandé au Conseil fédéral que ce principe de «durabilité» soit également intégré dans les négociations engagées en vue de la conclusion d’un accord bilatéral de libre-échange entre la Suisse et la Chine. Au cours de ces négociations, il s’agit aussi de discuter de l'élaboration d'un article qui règle les rapports entre les ALE et les autres accords internationaux. Selon le modèle proposé, l’article devrait garantir que l’accord commercial n'est pas en conflit avec un autre accord international, y compris les accords relatifs aux droits humains. L'intention est certes louable, mais on peut se demander comment les cas où un ALE viole un accord relatif aux droits humains seront constatés. Dans son rapport sur la politique économique extérieure, le Conseil fédéral n’apporte aucune réponse à cette question.
Des principes directeurs prêts à l’emploi
Les Principes directeurs applicables aux études de l’impact des accords de commerce et d’investissement sur les droits de l’homme, présentés par Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le Droit à l’alimentation, lors de la dix-neuvième session du Conseil des droits de l’homme (décembre 2011), sont très instructifs. Le Prof. De Schutter avait déjà présenté le projet de ces principes dans le cadre d’un séminaire tenu à Berne, l’été dernier. Selon lui, ces principes directeurs pourraient aider les Etats à développer et effectuer des analyses d’impact de leur politique commerciale et à garantir par là qu’ils s’acquittent de leurs obligations en matière de droits humains. On peine dès lors à comprendre pourquoi le rapport du Conseil fédéral sur la politique économique extérieure ne mentionne pas ces principes directeurs.
Que faut-il encore au Conseil fédéral pour qu’il sorte de l’indifférence dont il fait preuve à l’égard des droits humains?