04.01.2022
Ces dernières années, des rapports inquiétants sur la violence et les violations des droits humains dans les centres fédéraux d'asile ont circulé à de nombreuses reprises. Afin d’enquêter sur ces accusations, le Secrétariat d’État aux migrations a mandaté une autorité externe. Le rapport publié souffre toutefois de lacunes et ne permet pas d'exclure l’usage de violence structurelle dans les centres d'asile de la Confédération.
En mai 2021, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a chargé l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer – spécialisé en droit pénal et en droit administratif – de se pencher sur des allégations d’abus et de violence dans les centres fédéraux d’asile. L'enquête a été précédée d'une enquête commune de la Rundschau, de la Radio et Télévision Suisse Romande et de l'hebdomadaire WOZ, de rapports d'ONG ainsi que d'une visite du Comité européen pour la prévention de la torture CPT en Suisse. En novembre 2021, les résultats de l’enquête ont été publiés: des améliorations sont nécessaires dans le domaine de la sécurité mais les droits fondamentaux et les droits humains sont respectés dans les centres fédéraux d’asile. Toutefois, en y regardant de plus près, la portée et la méthodologie de l'enquête ne permettent pas de tirer une conclusion aussi catégorique.
Une approche unilatérale
L'enquête menée est en grande partie basée sur une recherche qui ne s'appuie pas sur des sources primaires, mais sur des documents et des dossiers de procédure mis à disposition par le Secrétariat d'État aux migrations concernant sept cas. En outre, des collaborateur·trice·s ainsi que des responsables des entreprises de sécurité privée et du Secrétariat d'État aux migrations ont été interrogé·e·s.
Le petit nombre de cas étudiés permet difficilement de tirer des conclusions sur l'usage structurel de la violence et sur les violations des droits humains dans les centres fédéraux d'asile. De plus, aucun entretien avec les requérant·e·s d'asile concerné·e·s, les représentant·e·s légaux·ales, les témoins ou les avocat·e·s externes ne semble avoir eu lieu dans le cadre de l'enquête. Enfin, les critères de sélection des cas étudiés ne sont pas évidents. Cette approche méthodologique unilatérale conduit à des résultats biaisés, ce qui ressort de différentes conclusions du rapport.
Une déduction fausse sur l'accès à la justice
Le rapport d'enquête conclut que la protection juridique est garantie en cas de recours à la violence dans les centres fédéraux d'asile. Cette hypothèse est basée sur le fait que dans quatre des sept cas examinés, des enquêtes pénales sont en cours.
Mis à part le nombre trop faible de cas examinés pour tirer des conclusions significatives, l'ouverture d'une enquête pénale ne signifie pas que les personnes concernées ont effectivement accès à la justice. La représentation juridique financée par l'État, seul interlocuteur des demandeur·euse·s d'asile sur place, ne dispose ni d'un mandat ni des compétences professionnelles pour pouvoir conseiller ou représenter les personnes concernées sur le plan pénal. De plus, le recours à des avocat·e·s externes ou vers l'aide aux victimes est fastidieux. Dans la réalité, une plainte pénale et une procédure pénale ne sont souvent engagées que lorsque les ONG font appel à des avocat·e·s externes.
Un raisonnement illogique sur le nombre de cas non recensés
Le rapport conclut que le nombre d'incidents violents non déclarés dans les centres fédéraux d'asile est très faible, chaque incident étant signalé aux représentant·e·s légaux·ales. L'expérience des organisations de la société civile contredit cette hypothèse: de nombreux·ses demandeur·euse·s d'asile, si ce n'est la majorité, n'oseraient pas parler de leur expérience de la violence ni porter plainte, de peur que cela n'ait une influence négative sur leur procédure d'asile. En ce qui concerne les rapports des agent·e·s de surveillance et de sécurité privé·e·s, il faut également tenir compte du fait qu'ils et elles ne risqueraient pas de s'incriminer eux/elles-mêmes. Les avocat·e·s du domaine du droit de l'asile ont également connaissance de cas où les plaintes pénales, par exemple en raison d'une expulsion précipitée, n'étaient pas possibles ou ont été refusées par la police. Pour ces raisons, on ne peut pas partir du principe que le nombre de cas non recensés est faible.
Des conclusions incompréhensibles sur la partialité
Enfin, le rapport conclut qu'il n'y a pas d'indices d'une «partialité générale des collaborateur·trice·s des services de sécurité», sans pourtant apporter de justification. Pour constater ou exclure des attitudes racistes ou xénophobes de la part des agent·e·s de sécurité, il aurait fallu interroger un grand nombre de requérant·e·s d'asile et de collaborateur·trice·s.
La société civile révèle une autre réalité
Depuis février 2020, l'organisation de défense des droits humains Amnesty International Suisse a régulièrement reçu des plaintes pour mauvais traitements et violences dans les centres fédéraux d'asile. En mai 2021, l'ONG a donc publié le rapport d'information «Je demande que les requérants d’asile soient traités comme des êtres humains: Violations des droits humains dans les centres fédéraux d’asile suisses». La conclusion était décevante: sur la base de 32 interviews avec des victimes, des (ancien·ne·s) agent·e·s de sécurité, des représentant·e·s légaux·ales, des conseiller·ère·s et des éducateur·trice·s sociaux·ales, il est clairement ressorti que des manifestations d'hostilité, des préjugés et du racisme sont présents dans les centres fédéraux d'asile. Les demandeur·euse·s d'asile interrogé·e·s ont également fait état de blessures physiques, de mauvais traitements et de punitions.
Le rapport d'Amnesty rapportait que des violations des droits humains avaient bien lieu dans les centres fédéraux d'asile et que celles-ci pouvaient découler de lacunes structurelles. Récemment, le Comité contre le racisme et le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies ont demandé à la Suisse d'enquêter sur les cas de violence dans les centres fédéraux d'asile, de demander des comptes aux responsables, d'indemniser les victimes et d'agir de manière préventive. Afin que la lumière soit faite sur les cas de violence dans les centres fédéraux d'asile, les autorités suisses sont invitées à mener une enquête à grande échelle selon une méthodologie scientifique et en utilisant des indicateurs basés sur les droits humains.