24.11.2022
Le fédéralisme peut avoir un impact positif sur la réalisation des droits humains, mais peut aussi rendre leur mise en œuvre plus difficile. Si certains cantons ont développé des mécanismes intéressants, d’autres sont encore loin de se conformer à toutes leurs obligations dans le domaine des droits humains.
Commentaire de Constance Kaempfer, chercheuse FNS senior à l’Université de Lausanne
Le 3 novembre 2022, une équipe de l’Université de Lausanne soutenue par le Fonds national suisse a organisé, conjointement avec l’Institut du Fédéralisme et le Centre de compétence pour les droits humains, une conférence intitulée «Une évaluation périodique des droits humains par les cantons?». Les discussions ont porté sur les possibilités d’utiliser le fédéralisme pour favoriser la mise en œuvre des droits humains.
Pas de mise en œuvre automatique des droits humains
La Suisse a conclu un grand nombre de traités internationaux dans le domaine des droits humains, dont les obligations relèvent souvent de la compétence des cantons, notamment en matière d’aide sociale, de santé, d’accès à la justice, de police et d’éducation. Plus de la moitié des recommandations acceptées par la Suisse à la suite de son troisième examen périodique universel en 2017 s’adressaient aux cantons.
Or la mise en œuvre de ces obligations par les autorités cantonales est un processus complexe, qui nécessite souvent la mobilisation de la Confédération, d’organisations intercantonales, de la société civile et du monde académique.
Des mécanismes existent…
Dans l’ordre juridique suisse, plusieurs mécanismes sont déjà en place pour encourager les cantons à mettre en œuvre leurs obligations internationales. Certains visent à offrir une récompense aux acteur·trice·x·s que l’on cherche à influencer, à travers une subvention ou un avantage réputationnel par exemple. D’autres ont pour objectif de punir les acteur·trice·x·s récalcitrant·e·x·s pour les inciter à agir, par exemple par le biais de l’exécution fédérale (art. 49 al. 2 Cst.), qui est toutefois très rare. D’autres encore cherchent à améliorer la mise en œuvre en diffusant des informations autour d’une obligation, notamment par le biais de rapports ou de plans d’action. Enfin, il existe également des mécanismes de ralliement ou de mise en commun, qui incitent les cantons à mettre en œuvre des dispositions internationales d’une certaine manière, telles que des conventions intercantonales ou des lois d’harmonisation minimale.
…mais ne sont pas systématiquement utilisés
Malgré cette diversité, seuls des mécanismes peu coercitifs tels que des plans d’actions ou des guides de bonnes pratiques sont généralement utilisés pour la mise en œuvre des droits humains. Pour améliorer celle-ci, des mécanismes plus contraignants (accord intercantonal, groupe de travail paritaire Confédération-cantons, guide intercantonal de mise en œuvre), qui sont par ailleurs fréquemment utilisés dans le domaine des accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE avec efficacité, pourraient également être mobilisés.
Comme évoqué lors de la conférence du 3 novembre, la mise en place d’une coordination renforcée entre la Confédération et les cantons, l’utilisation des conférences intercantonales existantes, un système plus simple et plus efficace pour récolter les données auprès des cantons et l’allocation de ressources supplémentaires peuvent notamment être envisagés. Les bonnes pratiques élaborées au sein de certains cantons mériteraient par ailleurs d’être discutées et valorisées. À cet égard, on peut penser, par exemple, aux conseils législatifs dispensés par des expert·e·x·s de l’Université de Bâle pour mettre en œuvre de la Convention sur les droits des personnes en situation de handicap (CDPH) dans les cantons.
Enfin, l’Institution nationale des droits humains (INDH), qui est sur le point de voir le jour en Suisse, jouera également un rôle crucial pour la mise en œuvre des droits humains dans les cantons, puisqu’elle servira d’intermédiaire entre le niveau international et le niveau interne de protection des droits humains.
La mise en œuvre des obligations internationales de la Suisse par les cantons en matière de droits humains doit être améliorée et les mécanismes existants doivent être renforcés. L’idée d’une évaluation périodique par les cantons est une piste qui doit encore être discutée et concrétisée.
Constance Kaempfer est l’autrice de la thèse à paraître chez sui generis «Les mécanismes de mise en œuvre du droit international par les cantons suisses: Études de cas dans les domaines des droits humains et des accords bilatéraux Suisse-UE».