humanrights.ch Logo Icon

L’institution suisse des droits humains, une nouveauté dans le paysage suisse des droits humains

24.05.2023

Depuis le 23 mai, la Suisse dispose, à l’instar de la plupart des Etats du monde, d'une institution nationale des droits humains. L'institution suisse des droits humains ISDH est toutefois encore loin de répondre aux nombreuses attentes. Entretien avec Matthias Hui*, qui s'est engagé pour la création de l’ISDH au nom de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains.

Le 23 mai, l’institution suisse des droits humains a été créée. Quand pouvons-nous attendre les premiers résultats de cette institution?

Tout d'abord, je suis très heureux que l'institution nationale des droits humains soit devenue une réalité en Suisse. Il aura fallu plus de 23 ans de lutte acharnée pour y parvenir. Aux côtés de nombreuses organisations membres de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains, humanrights.ch y a largement contribué. Lorsque l'Etat est impliqué, les processus de mise en œuvre des droits humains sont soumis à une certaine inertie. Nous devons maintenant laisser à l’ISDH le temps nécessaire pour qu’elle s’établisse. Le 23 mai 2023, les jalons ont été posés, mais le travail ne sera visible – et, espérons-le, portera ses fruits – qu’à partir de 2024, petit à petit.

Que s’est-il exactement passé le 23 mai 2023 au Berner Kursaal?

Plus de 100 membres fondateur·trice·x·s ont créé l’INDH, en leur nom ou en tant que représentant·e·x·s d'une personne morale - une organisation de défense des droits humains par exemple. L'assemblée a adopté des statuts, qui stipulent que l’ISDH doit contribuer à la protection et à la promotion des droits humains dans tous les domaines de la vie et à tous les échelons de l’Etat en Suisse. Cette tâche doit se faire conformément aux Principes de Paris de l'ONU, qui exigent l'indépendance d’une telle institution: une liberté totale doit être garantie à l’ISDH pour déterminer l'utilisation de ses fonds ainsi que ses priorités, ses méthodes de travail et ses décisions. Enfin, l'assemblée constitutive a élu un comité directeur.

Qui sont les membres de ce fameux cercle qui a créé l’ISDH?

L'inscription à l'assemblée constitutive était ouverte à toutes les personnes physiques et morales dont l'activité présente un lien avec la protection et la promotion des droits humains, et qui approuvent les buts de l’ISDH. La participation en tant que membre régulier·ère·x restera ouverte à toute personne répondant à ces critères. L’ISDH est une corporation de droit public et fonctionne comme une association.

Une association a besoin d’un comité. Le Parlement a créé la base légale pour la création de l’ISDH à l'automne 2021. Les personnes qui constitueront ce comité ont-elles été proposées par la Confédération, ou ont-elles été choisies par l'assemblée constitutive?

Ce processus s'est heureusement déroulé autrement. Il était nécessaire que l’ISDH soit soutenue par une base large et indépendante dès le début. La Confédération a mis en place un groupe de travail pour la constitution de l’ISDH; étrangement, c’est le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qui s’est retrouvé, pour des raisons historiques, responsable du processus de création et de la mise à disposition des fonds de l’ISDH, bien qu’il ne soit pas tellement impliqué dans la mise en œuvre des droits humains en Suisse. Ce groupe de travail était composé de personnes issues du projet pilote de l'ISDH, le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), d'organisations de défense des droits humains, de l'économie, de commissions extraparlementaires telles que la Commission fédérale pour les questions féminines, ainsi que de représentant·e·x·s de l'administration fédérale et de la Conférence des gouvernements cantonaux. J'ai eu la chance de faire partie de ce groupe de travail, qui a préparé le terrain pour la création de l’ISDH. Une commission de sélection a soumis une proposition de comité directeur au groupe de travail ainsi qu’à l'assemblée constitutive.

Tu figurais également sur cette liste de candidatures et as été élu par l'assemblée constitutive. N'est-il pas étrange qu'en tant que membre du groupe de travail préparatoire, tu aies directement été élu au comité directeur ?

Pendant la préparation de l’élection au sein du groupe de travail, je me trouvais en retrait de la procédure. Ce n'est qu'à la fin de ce processus que j'ai su que ma candidature avait été retenue, tout comme celles des autres membres. Il est logique que le comité directeur soit constitué de personnes qui connaissent bien l'histoire de l'ISDH et sont en mesure d’apporter à la nouvelle institution des expériences en matière de collaboration avec l'administration, le Parlement, le projet pilote qu’était le CSDH, sans oublier toutes les réflexions et idées issues du processus de préparation. Je me réjouis de relever ces missions. Mon activité professionnelle m’a permis de connaître les institutions des droits humains d'autres pays. L'institut allemand des droits humains (Deutsches Institut für Menschenrechte) mène un travail formidable pour mettre en œuvre la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant et la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes en situation de handicap, ainsi que les obligations en matière de responsabilité des entreprises et de discrimination raciale. Non seulement nous, en tant que représentant·e·x·s des organisations de défense des droits humains, mais aussi l'administration et le Parlement, nous sommes souvent inspiré·e·x·s de cet institution tout au long du processus de création. La Suisse a mis si longtemps pour créer son institution des droits humains qu’elle peut au moins profiter de l'expérience des autres institutions nationales et ne doit pas tout inventer elle-même.

En tant que coordinateur de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains, peux-tu vraiment être indépendant au sein du nouveau comité?

En septembre, je remettrai la coordination de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains à mon successeur Tarek Naguib, et cesserai de travailler pour humanrights.ch. Comme les autres membres, je ne défendrai donc aucun intérêt au sein du comité – excepté ceux d'une protection forte des droits humains en Suisse.

Qui sont les autres membres qui ont été élu·e·x·s?

La présidente est Raphaela Cueni, professeure-assistante en droit administratif à l’Université de St Gall, spécialisée sur les droits fondamentaux et humains ainsi que sur le droit des médias. Antonio Hautle, directeur du réseau des entreprises «UN Global Compact Unternehmensnetzwerks» en Suisse et au Liechtenstein, a également été élu, ainsi que Marianne Hochuli, qui était jusqu’en 2022 responsable du secteur Études et membre de la direction de Caritas Suisse, Xenia Rivkin, avocate et membre de l’Ordre des avocats de Genève, et Véronique Boillet, professeure associée de droit public à l’Université de Lausanne. Je ne connais pas encore très bien les autres membres, mais je me réjouis de faire partie de cette équipe diversifiée et très compétente. Nous travaillerons très étroitement dans cette phase de mise en place de l’ISDH.

Quelles seront les premières tâches du comité?

Le comité mettra au concours le poste de direction de l'ISDH, et choisira une ou deux personnes qui incarneront l'institution. Ce processus s’étendra sur plusieurs mois. Une responsabilité importante incombera à la personne qui dirigera l'ISDH. J'en ai encore pris conscience lors de la journée de clôture du CSDH, au cours de laquelle le directeur de l'institution polonaise des droits humains, l'ombudsman Adam Bodnar, s'est exprimé avec beaucoup de courage, de liberté et d'aplomb professionnels. En parallèle du choix d'une direction, le comité devra mettre sur pied l'infrastructure de la nouvelle institution. L’ISDH sera implantée à Fribourg, à la frontière linguistique et à proximité de la capitale, Berne. Ses locaux seront installés dans un bâtiment central et proche de la gare, afin de favoriser les échanges sur le plan tant local que national. Il est d'ailleurs prévu que les cantons financent ensemble l'infrastructure de la nouvelle ISDH, bien que les dernières décisions ne soient pas encore connues. Leur participation est donc très importante. Je pars du principe que le travail de l'ISDH sera fortement axé sur la mise en œuvre des droits humains dans les cantons.

A quels obstacles l’ISDH sera-t-elle confrontée? Quelles tâches l’institution ne sera-t-elle pas en mesure de réaliser?

La loi indique clairement que l’INDH ne peut accepter de plainte individuelle ni exercer de fonction de médiation. Ces limitations décevront de nombreuses personnes qui espèrent, en tant que victimes de violations des droits humains, pouvoir jouir d’une institution capable de défendre leurs droits individuels et d’en garantir le respect. L’aspect financier constitue une autre problématique. Le budget annuel d'un million de francs correspond à la contribution fédérale octroyée précédemment au projet pilote du CSDH. Or, la loi confère désormais à l’INDH un mandat bien plus étendu. La Plateforme des ONG suisse pour les droits humains a estimé qu’un budget modèle de cinq millions de francs constituait une base minimale pour financer le travail que l’ISDH devra effectuer selon le mandat défini. Lors du récent Examen périodique universel (EPU) de la Suisse devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2023, de nombreux Etats se sont montrés critiques face au financement insuffisant de l'institution suisse des droits humains, notamment l'Allemagne, le Liechtenstein ou encore l'Irlande, qui disposent tous les trois de solides institutions nationales des droits humains. Au vu de ce financement lacunaire, il existe un risque que l’ISDH n'obtienne pas directement le statut A d’une institution nationale des droits humains respectueuse des principes de l'ONU. J'espère que la comparaison internationale et le bon départ de l’institution suisse contribueront à convaincre les responsables politiques de lui accorder un budget plus élevé dans une deuxième phase. L’ISDH devra d’abord se contenter de moyens limités et se borner au traitement de certaines problématiques brûlantes des droits humains.

Comment la Confédération peut-elle contribuer au bon lancement de l’ISDH?

Une petite institution nationale ne devrait pas avoir à traiter avec des dizaines d’interlocuteur·trice·x·s au sein de l'administration fédérale et des cantons. Nous ne devons pas nous attendre à ce que l’ISDH parvienne à absorber la dispersion existante dans le domaine des droits humains, tant au sein des procédures de rapports étatiques, qu'entre les départements ainsi qu'entre la Confédération et les cantons; ce n'est pas son rôle, car cela épuiserait ses ressources. Il est maintenant temps de créer au sein de l'administration fédérale un service de coordination des droits humains doté de ressources suffisantes, qui chapeaute la mise en œuvre des droits humains au sein du système fédéraliste et veille à la mise en réseau des acteur·trice·x·s du domaine.

En quoi une organisation de défense des droits humains comme humanrights.ch peut-elle contribuer à renforcer l’ISDH?

Les organisations de défense des droits humains peuvent proposer une collaboration à la nouvelle institution et mettre à sa disposition leurs compétences dans certains domaines thématiques. Ce que l’ISDH veut aborder relève du choix de son comité. L’institution s'appuiera toutefois probablement sur les connaissances existantes au sein de la société civile ou du monde scientifique pour définir précisément la contribution qu’elle peut apporter pour renforcer les droits humains en Suisse. Les organisations de défense des droits humains suivront le travail de l’ISDH d'un œil critique, afin de s'assurer que ses projets et ses positions ne se limitent pas au plus petit dénominateur commun, comme c’est le cas actuellement du fait de la politique adoptée par la Suisse, mais respectent bien les droits humains définis et ancrés dans les sources de droit au niveau universel. Le mouvement de défense des droits humains devra également mener une réflexion autocritique sur son propre rôle dans un paysage des droits humains en pleine mutation.

humanrights.ch remercie chaleureusement Matthias Hui pour son engagement sans faille en faveur des droits humains tout au long de ces années, en tant que responsable du groupe de travail «Institution nationale des droits humains» au sein de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains, et en tant que collaborateur de humanrights.ch. Ce groupe de travail aura contribué de manière décisive à la création de l’ISDH! L’élection de Matthias Hui au sein du comité permettra de transmettre le savoir accumulé depuis ces nombreuses années au sein de ce groupe de travail à la nouvelle institution.

*Matthias Hui travaille depuis 2013 au sein de humanrights.ch, et entre 2018 et fin septembre 2023 en tant que coordinateur de la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains. Matthias Hui était membre du groupe de travail en vue de la constitution de l’institution suisse des droits humains (ISDH) coordonné par la Confédération et est depuis le 23 mai 2023 élu membre du comité de la nouvelle ISDH.