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Grossophobie: la Suisse en retard

24.10.2022

Les obstacles sociaux ainsi que la grossophobie systémique sont une réalité qui a des conséquences importantes pour les personnes grosses. Pourtant, ce phénomène n'a toujours pas fait l’objet d’une enquête statistique en Suisse. Les normes juridiques manquent encore pour protéger contre la discrimination fondée sur le poids. Aussi, il est indispensable de développer une stratégie à long terme pour réduire les pratiques discriminatoires et le langage stigmatisant à l'égard des personnes concernées.

Des études empiriques de différents pays montrent que la grossophobie est un phénomène largement répandu, qui touche différents domaines de la vie quotidienne des personnes concernées. Selon Melanie Dellenbach de Body Respect Schweiz: «les personnes grosses sont désavantagées dans le domaine de la santé, au sein du système éducatif, dans leur vie professionnelle, dans leur temps libre ainsi que lors de la recherche d’appartements». Cette discrimination a des conséquences sur leur qualité de vie ainsi que sur leur participation à la vie sociale; aussi, la discrimination fondée sur le poids a des répercussions sur leurs droits humains (art. 1 DUDH).

Inégalité de traitement dans le domaine médical

Les personnes grosses risquent une prise en charge médicale de moins bonne qualité. Selon des études scientifiques, elles sont souvent confrontées à des préjugés négatifs de la part des professionnel·le·x·s de la santé. Les médecins associent fréquemment tout symptôme à leur poids et ne procèdent ainsi pas toujours à des examens médicaux approfondis. En outre, les cabinets médicaux manquent parfois de l’accessibilité nécessaire. Enfin, en raison de la violence verbale et physique à laquelle elles doivent faire face en public, les personnes grosses évitent ou repoussent souvent les consultations médicales. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cela peut contribuer à péjorer leur état de santé et à accroître le risque de mortalité.

La discrimination en matière de santé pour les personnes concernées a également été mise en évidence pendant la pandémie de coronavirus. Ces personnes ont été des boucs émissaires, et il a souvent été suggéré publiquement de les écarter en cas de triage aux soins intensifs.

De moins bonnes possibilités d’éducation

De nombreuses études internationales ont prouvé que la grossophobie a des répercussions négatives sur les possibilités de formation pour les personnes grosses. Ainsi, à performances égales, les enfants et adolescent·e·x·s gros·se·x·s obtiennent de moins bonnes notes à l'école. De plus, le poids du corps est la cause la plus fréquente de moqueries et de harcèlement entre les jeunes.

Enfin, l’accessibilité des équipements dans les écoles et les universités, à l’image de l’espace public, n’est toujours pas garantie à ces personnes, et les corps professoral et enseignant ne sont pas encore sensibilisés à la problématique.

La Suisse doit agir

À ce jour, aucune étude ou estimation statistique de la discrimination et du harcèlement liés au poids en Suisse n’a été menée. Le phénomène manque donc tant de visibilité que d'informations en la matière qui permettraient de prendre des mesures. De plus, aucune base légale ne protège actuellement contre la discrimination fondée sur le poids, car celle-ci ne fait pas partie des critères constitutifs de l'interdiction de la discrimination (art. 8 al. 2 Cst.). Enfin, des mesures contraignantes et de sensibilisation sont nécessaires pour permettre aux personnes concernées d'accéder au système éducatif et au domaine de la santé sans discrimination ou difficulté particulière.

«Pour lutter contre les obstacles sociaux et la discrimination structurelle auxquels font face les personnes grosses, il faut prendre des mesures globales», confirme Melanie Dellenbach. Celle-ci propose par exemple la collecte de données ciblées, la mise en place de systèmes de signalement, la création de bases légales, la reconnaissance du poids comme critère de diversité dans les écoles et les universités et la sensibilisation des corps enseignant, professoral et estudiantin dans toutes les professions de l'enseignement, du social et de la santé. Selon Dellenbach, la grossophobie doit toujours être prise en compte de manière intersectionnelle, à savoir être intégrée à des projets existants contre la discrimination raciale ou la discrimination fondée sur le sexe ou l'identité de genre.

La grossophobie a un impact sur les droits humains des personnes concernées. La Suisse doit prendre des mesures rapides et globales, mais aussi élaborer et mettre en œuvre une stratégie à long terme visant à réduire la stigmatisation et la discrimination liées au poids.