20.12.2021
Le Parlement examine actuellement une motion visant à autoriser l'expulsion par ordonnance pénale et sans défense d’office dans des cas mineurs mais évidents. S’il est accepté, cet objet porterait atteinte au droit à un procès équitable. Alors que le Conseil national approuve la proposition dans son intégralité, le Conseil des États rejette les points problématiques, préoccupé par des questions relatives à l'État de droit.
Commentaire de Selma Kuratle, membre du comité des Juristes démocrates de Berne (djb)
Lors de la session d'été 2021, le Conseil national a adopté la motion «Expulsions par ordonnance pénale dans les cas mineurs, mais évidents». Réintroduite dans le cadre de l'initiative sur le renvoi, l'expulsion obligatoire a été dans un premier temps révisée par la motion «Exécution systématique des expulsions».
Déposée par la Commission des institutions politiques du Conseil national, l’intervention vise à élargir et à clarifier le mandat de la motion, encore pendant: à l'avenir, il devrait être possible d'ordonner une expulsion du territoire suisse tant que les conditions nécessaires au prononcé d'une ordonnance pénale sont remplies. En outre, l'expulsion ne pourrait plus être invoquée comme motif de défense obligatoire dans une procédure pénale (suppression de «l’expulsion» comme motif de défense selon l’art. 130 CPP) et les infractions répertoriées dans le Code pénal (art. 66a CP) devraient être adaptées et éventuellement clarifiées. Lors de la session d'hiver 2021, le Conseil des États n'a approuvé que les modifications et clarifications des infractions répertoriées. L'expulsion par ordonnance pénale et sans défense d’office a été rejetée par la chambre haute en raison des réserves émises par sa commission consultative quant à la conformité du projet avec l'État de droit.
Une protection juridique insuffisante
La procédure de l'ordonnance pénale est adéquate pour les cas évidents, dans lesquels les faits peuvent être établis sans audition, et lorsqu'il s'agit de délits mineurs. Pour que la procédure de l'ordonnance pénale reste compatible avec les droits procéduraux fondamentaux, il faut garantir que la personne prévenue comprenne d'une part l'ordonnance pénale ainsi que les indications relatives aux voies de recours, et d'autre part qu'elle sache qu'elle peut exercer ses droits procéduraux si elle fait opposition dans le délai de dix jours.
Les personnes expulsées du pays à la suite d'une condamnation pour une infraction ne maîtrisent souvent aucune langue officielle. Faute d'avoir été entendues avant l'établissement de l'ordonnance pénale, elles se voient souvent délivrer une ordonnance pénale dans la langue de la procédure, et ce alors qu'elles auraient droit à une traduction. Il s'agit par ailleurs souvent de personnes non domiciliées en Suisse. Dans de tels cas, une ordonnance pénale ne peut généralement pas être notifiée ou remise en mains propres et peut alors être considérée comme notifiée même sans communication effective (cf. art. 88, al. 4, CPP). Cela peut faire manquer le délai d'opposition de 10 jours, et dans le cas d'une expulsion ordonnée par ordonnance pénale, avoir de graves conséquences. Non seulement la personne accusée est gravement touchée dans ses droits fondamentaux sans qu'elle n'ait pu s'exprimer sur le sujet, mais elle est également privée du contrôle de l'expulsion par un tribunal et peut être expulsée avant même que l'ordonnance pénale ne lui soit remise.
Droit à un procès équitable
L'expulsion obligatoire prévue à l'article 66a du Code pénal et découlant de l'initiative sur le renvoi ne prévoit pas la possibilité d'expulser une personne au moyen d’une ordonnance pénale, et ce pour de bonnes raisons: jusqu'à présent, il revient à un tribunal – et donc une autorité autre que l'autorité de poursuite pénale – d’examiner et d’ordonner l'expulsion. Les autorités de poursuite pénale peuvent uniquement renoncer à l'expulsion et/ou examiner un cas de rigueur.
Pour garantir le respect de l'État de droit, la motion de la Commission des institutions politiques du Conseil national doit être rejetée. Combinées, la suppression du contrôle judiciaire et celle de la défense obligatoire menace les droits les plus élémentaires de la procédure pénale, dont fait partie le droit à un procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de l'homme. La procédure de l'ordonnance pénale est aujourd’hui déjà utilisée dans de trop nombreux cas pour lesquels elle n'est pas adéquate; une extension supplémentaire n'est ni nécessaire, ni souhaitable.
Le Conseil national devrait se pencher à nouveau sur cette question lors de la session de printemps 2022. Il reste à espérer qu'il se souviendra de l'importance des principes de l'État de droit et reconsidérera sa position vis-à-vis de l'expulsion par ordonnance pénale et sans défense obligatoire.