16.08.2022
Le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe critique les conditions actuelles de détention en Suisse, en raison de la surpopulation carcérale en Suisse romande, des violences policières dans les établissements des forces de l’ordre ainsi que des mauvais traitements des personnes nécessitant une prise en charge psychiatrique. Le Comité exhorte les autorités suisses à prendre des mesures pour faire cesser ces problématiques structurelles dans les établissements de privation de liberté.
À la suite de sa visite périodique en Suisse en mars 2021, le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT) a publié un rapport le 8 juin 2022 pointant des violations de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants par les autorités suisses. Le Comité se dit préoccupé de constater que des recommandations clés, formulées de longue date, concernant notamment les garanties offertes aux personnes privées de liberté par la police ainsi que la détention de personnes dans des établissements pénitentiaires surpeuplés en Suisse romande n'ont toujours pas été mises en œuvre. Les expert·e·s pointent également le manque de respect des droits humains des mineur·e·s et des jeunes adultes en exécution de peines et mesures, des personnes suivant un traitement thérapeutique institutionnel et des ressortissant·e·s étranger·ère·s soumis·e·s à des mesures de contrainte.
Les prisons romandes surpeuplées
Le Comité avait déjà recommandé en 2015 lors de sa visite d’établissements de privation de liberté en Suisse romande de prendre des mesures pour limiter le nombre de détenu·e·s par cellule. La surpopulation est toutefois aujourd’hui encore actuelle. En janvier 2022, la prison de Champ-Dollon comportant 398 places accueillait encore plus de deux cents personnes au-delà de sa capacité. S’ajoutent à cela des problèmes de vétusté et d’aération des cellules: la température de certaines des cellules est étouffante en raison du nombre de personnes qui y sont placées et de la mauvaise aération, comme l’a dénoncé le collectif Parlonsprisons dans un communiqué pendant la canicule de juin 2022. La Commission nationale de prévention de la torture avait dénoncé l’augmentation intolérable de la température dans les cellules lors de sa visite de l’établissement en 2012.
Déficits dans la pratique des forces de l'ordre et de la détention préventive
Le Comité relève plusieurs plaintes d’un excès d’usage de la force ainsi que de violences verbales (y compris à caractère raciste) par des fonctionnaires de police dans les cantons de Genève et de Zurich. Il recommande de renforcer la prévention des violences policières ainsi que d’enlever les chaises et lits de contention dans certains locaux de police et émet des réserves sur les fouilles corporelles systématiques. Dans deux postes de police vaudois, le CPT a de nouveau observé l’utilisation de locaux de police pendant des semaines au-delà du délai légal pour de la détention provisoire ou pour exécuter des peines, pratique que la délégation avait demandé de stopper immédiatement lors de sa visite en 2015 déjà.
Dans l'ensemble, le CPT estime que les mesures de protection contre les mauvais traitements en garde à vue sont insuffisantes. Il critique une fois de plus la législation suisse selon laquelle le droit d’informer un·e proche ou une tierce personne de sa privation de liberté et d’avoir accès à un·e avocat·e et un·e médecin continuent d’être reconnus uniquement lorsque la personne concernée a été placée en état d’arrestation provisoire et non pas dès le moment de sa privation de liberté.
Les expert·e·s constatent également que le régime de détention préventive ne s'est toujours pas amélioré dans de nombreux lieux de détention: les détenu·e·s passent souvent jusqu'à 23 heures par jour dans leur cellule et n'ont souvent pas la possibilité de communiquer avec le monde extérieur pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Enfin, le comité se montre extrêmement préoccupé par les règlements disciplinaires vaudois et zurichois, autorisant l'isolement comme sanction disciplinaire pour une durée pouvant aller jusqu'à 20 et 30 jours.
Les requérant·e·s d'asile débouté·e·s toujours placé·e·s en prison
Le CPT relève que dans la plupart des cantons, les ressortissant·e·s étranger·ère·s faisant l'objet de mesures de contrainte en vertu de la législation sur les étrangers sont placées dans des prisons ordinaires pendant la première phase de leur détention. Il demande aux autorités de transférer rapidement ces personnes dans des centres spécifiquement conçus pour la détention administrative. Le Comité incite par ailleurs les autorités à réfléchir aux alternatives à la privation de liberté afin d’éviter le recours à la détention administrative.
Lors de la visite du Centre fédéral pour demandeur·euse·s d’asile de Boudry (NE), la délégation a été confrontée à un problème d’accès à l’établissement ainsi qu’à un manque de coopération des agent·e·s de sécurité de la société privée de sécurité Protectas. Une série d’incidents a récemment illustré les graves problématiques qu’engendre la privatisation des centres fédéraux d’asile.
Inquiétudes pour les mineur·e·s en exécution des peines et mesures
Le Comité reste préoccupé par la législation fédérale pénale s’appliquant aux mineur·e·s (DPMin) qui prévoit que les établissements prévus pour la détention des mineur·e·s puissent détenir dans une même enceinte des mineur·e·s et des (jeunes) adultes jusqu’à 25 ans, contraire aux normes du CPT mais aussi aux Règles Nelson Mandela (Règle 11, let. d).
Le CPT constate également que les sanctions disciplinaires sont appliquées de manière excessive chez les mineur·e·s et jeunes adultes et demande l’abolition du placement en isolement en tant que punition disciplinaire pour les mineur·e·s.
La prison à la place d'institutions thérapeutiques
Le CPT déplore le fait que de nombreuses personnes ayant des troubles psychiatriques soient encore enfermées dans des établissements non spécialisés et non prévus à cet effet, le nombre de places spécialisées restant insuffisant comparé aux besoins.
Le Comité critique également la lenteur de l’évolution des mesures institutionnelles, notamment par les délais de progression de l’article 59 du Code pénal; les personnes ayant des troubles mentaux sont ainsi incarcérées dans un régime pénitentiaire de longue durée, or une détention prolongée sans perspective de libération peut avoir des effets très néfastes.
La Suisse doit respecter et mettre en œuvre l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants dans les établissements de privation de liberté, des forces de l’ordre, pour ressortissant·e·s étranger·ère·s ainsi que pour les personnes nécessitant une prise en charge psychiatrique.