24.02.2022
Dans une lettre ouverte, des organisations caritatives et des expert·e·s du domaine de la santé demandent une amélioration de la situation des requérant·e·s d’asile débouté·e·s en Suisse. Les conditions précaires dans les systèmes cantonaux d’aide d’urgence ont des effets négatifs sur la santé mentale des bénéficiaires de longue durée. La situation actuelle menace le droit à un niveau de vie suffisant.
Depuis des années, les requérant·e·s d’asile débouté·e·s sont exclu·e·s du système de l’aide sociale sans préavis et mis·e·s au bénéfice de l’aide d’urgence. L’aide d’urgence sert, selon l’article 12 de la Constitution fédérale, à fournir aux personnes en situation de détresse l’aide, l’assistance et les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Le système de l’aide d’urgence ne permet pas de couvrir les dépenses modestes, le montant du loyer ou les primes d’assurance maladie. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle sert uniquement à protéger d’une existence indigne réduite à la mendicité. L’ancien juge fédéral Gerold Bertschart l’explicitait ainsi: «Il s’agit que l’État ne laisse personne mourir de faim ou de froid».
La compétence en matière d’aide d’urgence appartient aux cantons, ce qui mène à de grandes disparités dans la pratique. Les bénéficiaires de l’aide d’urgence sont fréquemment hébergé·e·s dans des abris de la protection civiles ou dans des containers et reçoivent des aliments nécessaires à leur survie ou entre 6 à 12 francs par jours. Le caractère minimal de l’assistance n’est pas accidentel. Selon le Secrétariat d’État aux migrations, le but de l’aide d’urgence consiste à inciter les personnes concernées à quitter le territoire suisse. Cependant, nombre de requérant·e·s d’asile débouté·e·s ne peuvent ou ne veulent pas quitter la Suisse en raison de problèmes de santé, de document d’identité insuffisants ou du refus de l’admission sur le territoire de l’État de destination. Au moins un tiers des requérant·e·s d’asile débouté·e·s dépendent de l’aide d’urgence depuis plus d’un an et beaucoup – dont des enfants – vivent cinq, dix ou quinze ans dans ces conditions. La précarité induite par l’aide d’urgence représente une source de stress psychologique, en particulier pour les bénéficiaires de longue durée.
Pour un traitement humain des requérant·e·s d’asile débouté·e·s
Dans un rapport de décembre 2021, plus de 450 expert·e·s des domaines du travail social et de la psychologie se sont positionné·e·s de manière critique vis-à-vis des conséquences du système d’aide d’urgence sur la santé des personnes concernées. Selon ces expert·e·s, quatre aspects des conditions de vie des requérant·e·s d’asile débouté·e·s sont particulièrement problématiques: le soutien financier insuffisant, les conditions de vie difficiles dans les hébergements, l’absence d’intégration et le manque d’opportunité d’emploi qui en découle, ainsi que les difficultés à solliciter des soins psychiatriques et psychologiques. Ces conditions renforcent la détresse des requérant·e·s d’asile et viennent s’ajouter à leurs problèmes psychologiques préexistants. Des troubles psychosomatiques, de graves maladies psychiques et un taux de suicide plus élevé peuvent s’ensuivre.
De nombreux·euses professionnel·le·s de la psychiatrie et de la psychologie ont par ailleurs publié le 16 février 2021 une lettre ouverte pour un traitement humain des requérant·e·s d’asile débouté·e·s. Les signataires appellent à l’amélioration des conditions de vie des bénéficiaires de longue durée afin de préserver leur santé physique et mentale. Pour cela, ils et elles demandent que soient garantis les besoins essentiels, l’hébergement privé dans des appartements et des colocations, la promotion de la participation à la société et l’amélioration de la prise en charge médicale, psychiatrique et psychologique. Une attention particulière doit être portée au respect des droits de l’enfant conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant.
Différentes instances internationales des droits humains ont également critiqué la pratique suisse en matière d’aide d’urgence. Le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels ont reproché à la Suisse le fait que les bénéficiaires de l’aide d’urgence demeurent dans l’impossibilité d’obtenir l’accès à des soins médicaux et à un niveau de vie suffisant. Au sens de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, un niveau de vie suffisant désigne le minimum d’existence social, composé notamment d’une alimentation et des vêtements suffisants, un logement conforme à la dignité humaine et une prise en charge médicale. Ces droits humains sont régulièrement violés pour les personnes concernées par l’aide d’urgence. À cela s’ajoute pour certain·e·s d’entre elles et eux une atteinte grave à leur liberté de mouvement, notamment du fait de l’interdiction de quitter une certaine région ou d’y entrer.
Le système de l’aide d’urgence viole les droits humains en Suisse. Les conditions actuelles menacent particulièrement la santé mentale et physique des requérant·e·s d’asile débouté·e·s. La Suisse doit garantir un traitement et un hébergement des bénéficiaires de l’aide d’urgence qui respecte la dignité humaine.