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La situation précaire des enfants dans les centres fédéraux d’asile

Les conditions dans les centres fédéraux pour personnes requérantes d’asile ainsi que les transferts fréquents vers de nouveaux lieux sont très pénibles pour les enfants de familles demandeuses d’asile. Leurs droits et leurs besoins ne sont souvent pas pris en compte, comme l’illustre l’histoire de Lily et de ses frères et sœurs.

À l’âge de 5 ans, Lily (prénom modifié), ses parents et sa sœur âgée de trois ans fuient le Kosovo pour venir en Suisse. La famille appartient à la minorité bosniaque. Politicien dans le parti qui défendait les intérêts de la minorité, le père de Lily avait petit à petit fait l’objet d’hostilité et d’attaques violentes.

En novembre 2014, la famille dépose une demande d’asile en Suisse et est hébergée pendant un mois au centre fédéral d’asile (CFA) de Kreuzlingen. La famille est ensuite transférée au CFA de Romanshorn, où elle vit dans une chambre malpropre durant 10 mois. Lily fréquente l’école maternelle. C’est à cette époque que nait le petit frère de Lily. En octobre 2015, la famille est attribuée à la commune de Bottighofen et peut emménager dans son propre appartement; elle y a assez de place et s’y sent bien. Lily va à l’école primaire à Bottighofen.

Un mois après son dépôt, la demande d’asile est rejetée, car le SEM considère que l’existence d’un risque réel n’est pas avérée. La famille dépose aussitôt un recours, qui n’est rejeté seulement deux ans plus tard. Entre 2014 et 2020, soit pendant sept ans, toutes les demandes de réexamen que la famille dépose sont rejetées.

Au cours de l’été 2016, la famille de Lily doit quitter son appartement et est placée dans le foyer d’accueil transitoire de la Fondation Peregrina à Frauenfeld. À cette époque, l’établissement applique une stratégie cantonale d’aide d’urgence, dont le but est de dissuader les requérant⸱e⸱x⸱s d’asile débouté⸱e⸱x⸱s de rester en Suisse par une détérioration continue de leurs conditions de vie. Cette stratégie a été publiquement critiquée. Les conditions de vie dans le foyer où vit la famille de Lily sont épouvantables et les enfants en souffrent tout particulièrement. La famille de cinq personnes partage une chambre dans laquelle elle cuisine également, la cuisine étant très sale et désordonnée. Pendant une année, la famille subit une invasion de punaises de lit. Lily et ses frères et sœurs sont couverts de piqûres, mais pour des raisons de coûts, les responsables ne veulent rien entreprendre.

En raison de la décision de transfert, Lily doit quitter l’école de Bottighofen après une année et est inscrite à l’école de Frauenfeld. Sa sœur cadette est entre-temps également scolarisée. Les deux enfants doivent faire leurs devoirs sur le sol de la chambre familiale, le salon accueillant généralement des jeunes hommes, qui représentent la majorité des personnes requérantes d’asile du foyer. Comme les hommes sont souvent vêtues d’un simple linge dans cette pièce, écoutent la musique à plein volume et regardent parfois des vidéos aux contenus inappropriés, Lily et ses frères et sœurs ne veulent ni y étudier ni y jouer.

Ces conditions de vie difficiles dans un tel logement portent largement préjudice à Lily, qui présente des symptômes tant physiques que psychiques: l’expertise de sa psychologue relève qu’elle fait des cauchemars, des crises de panique et de désespoir. La mère de Lily souffre également de problèmes psychiques depuis 2016 et présente un risque de suicide jugé élevé.

Bien que ces faits soient connus de l’office cantonal des migrations, ce dernier rejette en 2021 la demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur de la famille et l’oblige à quitter la Suisse. L’office reconnait certes qu’un retour au Kosovo pourrait entraîner une détérioration de l’état de santé de la mère de Lily, mais considère qu’elle pourrait toutefois être soignée au Kosovo. Le mauvais état de santé psychique de Lily n’est pas évoqué dans la décision de l’office des migrations.

L’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (ODAE) critique ce fait ainsi que le manque général de considération vis-à-vis de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 Convention relative aux droits de l’enfant). Les enfants ont vécu presque toute leur vie en Suisse, parlent couramment l’allemand et le suisse allemand et sont bien intégrés, notamment Lily, qui dispose d’un cercle d’amis stable; il n’est pas certain que les enfants s’intègrent aussi bien au Kosovo. L’ODAE critique le fait que l’office des migrations n’ait que peu examiné cet aspect.

Le Comité des droits de l’enfant, qui assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant, exige également explicitement, dans ses observations finales relatives au rapport de la Suisse valant cinquième et sixième rapports périodiques, que les droits des enfants soient respectés dans la procédure d’asile. L’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer une considération primordiale «dans toutes les décisions qui concernent le transfert, la détention ou l’expulsion de tout enfant demandeur d’asile».

Le Point de contact pour les litiges stratégiques n’accompagne pas le cas de Lily et de sa famille sur le plan juridique; car dans ce cas comme dans un grand nombre d’autres, les moyens pour accéder à la justice sont très limités. Dans le domaine de l’asile et de la migration en particulier, les violations des droits humains restent dans l’ombre, car les conditions pour mener un procès ne sont pas réunies. humanrights.ch documente ce type de cas pour visibiliser dans un premier temps des cas qui pourront ensuite constituer des précédents s’ils font l’objet d’un litige. L’objectif consiste donc à mettre en lumière les violations systématiques et structurelles des droits humains afin de discuter, au sein d’un réseau de spécialistes, des stratégies les plus appropriées pour parvenir à mieux protéger les droits humains dans ces cas.

contact

Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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